Le sort des femmes détenues à Leclerc « extrêmement » préoccupant

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En conférence de presse mardi matin, elles ont déploré qu’une demande formelle adressée à cette fin au ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, ait été refusée le 27 mai. La chef de cabinet du ministre a évoqué des raisons de sécurité pour refuser la demande, disent-elles, ce qui est « irrecevable ».

« Nous demandons – en fait, nous exigeons – que la décision de refus soit révisée et que se tienne cette mission d’observation », a lancé la présidente de la FFQ, Mélanie Sarrazin, à l’intention du premier ministre Philippe Couillard et du ministre Coiteux.

« Cette mission est nécessaire, car elle s’intéresse aux enjeux systémiques derrière les problématiques soulevées par les conditions de détention actuelles. »

« Faire autrement va, selon nous, à l’encontre de la protection des femmes détenues, de la Charte des droits et libertés et des nombreuses conventions signées par le Canada, donc applicables au Québec. » – La présidente de la FFQ, Mélanie Sarrazin

Mme Sarrazin soutient que des détenues, des avocates et d’autres acteurs du milieu carcéral font état de « situations graves qui bafouent le droit des femmes », dont la mixité des lieux, l’exiguïté des cellules, le manque d’accès à des programmes de réhabilitation, des situations de confinement exagérées et le manque de qualité des soins de santé.

« Nous n’acceptons pas ce refus ni ce prétexte étant donné qu’il y a de nombreux groupes qui entrent tous les jours – des groupes de soutien, des religieuses », fait valoir Lucie Lemonde, professeure de droit carcéral à l’Université du Québec à Montréal et porte-parole de la LDL.

Selon Mme Lemonde, le projet de mission d’observation soumis au ministère de la Sécurité publique a pour objectif de documenter et d’analyser les conditions de détention à la prison Leclerc afin de proposer des pistes de solution, et non de porter un regard critique sur les agents correctionnels qui y travaillent.

« On aurait été là deux jours, des professionnelles, des profs d’université, des avocates, des personnes de la FFQ. Donc, on ne croit pas à cette raison-là. […] Je suis prof de droit carcéral. Pendant des années, j’ai amené des classes entières visiter des pénitenciers, des prisons. » – La porte-parole de la LDL, Lucie Lemonde

Mme Lemonde dit avoir communiqué avec le Protecteur du citoyen, comme suggérait de le faire le cabinet du ministre Coiteux. Le bureau lui a confirmé avoir reçu « plusieurs plaintes » de détenues, et faire enquête. Il s’agit cependant d’enquêtes individuelles, qui ne peuvent remplacer une mission d’observation globale, souligne-t-elle.

La mixité des lieux au coeur du problème

La FFQ et la LDL sont « extrêmement préoccupées » par les conditions de détention des femmes qui ont été transférées à la prison Leclerc le 29 février dernier, affirme Mme Lemonde.

Les informations qui ont filtré dans les médias depuis quelques semaines laissent croire que ces conditions « ne respectent pas les droits fondamentaux des femmes, le droit à la dignité humaine, le droit à l’égalité dans le système carcéral », soutient-elle.

Selon Mme Lemonde, la mixité des lieux est une source importante d’inquiétude : 84 hommes sont aussi détenus à la prison Leclerc et ils y croisent régulièrement des femmes, dont certaines ont vécu de la violence physique ou des agressions sexuelles, notamment lorsqu’ils se rendent au parloir ou à l’infirmerie.

Selon l’avocate en droit carcéral Mélanie Martel, les hommes profitent de l’occasion pour tenir des propos « à caractère sexuel ou dégradants » envers les femmes.

La plupart des femmes incarcérées à l’Établissement de détention Leclerc purgent des peines de prison légères, alors que de nombreux hommes qui s’y trouvent ont été condamnés pour des crimes violents.

La configuration architecturale des lieux, le niveau de sécurité élevé en vigueur, le caractère inapproprié de l’approche correctionnelle retenue, ainsi que le manque de personnel et leur manque de formation sont d’autres sources de préoccupation.

Mme Lemonde dit ne pas comprendre comment Québec a pu rouvrir l’établissement, un ancien pénitencier que le gouvernement fédéral avait fermé en 2013, parce qu’il le jugeait trop vétuste, avant de le vendre à Québec. Seules des raisons d’économie peuvent expliquer cela, selon elle. Mme Sarrazin abonde dans le même sens.

«Québec ne cache pas que sa décision est motivée en partie par des raisons économiques. Encore une fois, le gouvernement priorise l’économie de quelques sous sur le dos des femmes, sur le dos des plus vulnérables.» – La présidente de la FFQ, Mélanie Sarrazin

La démarche de la FFQ et de la LDL est appuyée par l’Association des religieuses pour les droits des femmes, l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec, l’Association des avocats et avocates de Montréal, l’Association des avocates et avocats en droit carcéral du Québec, Femmes autochtones du Québec, la société Élizabeth-Fry du Québec, Alter Justice, Stella, ainsi que Continuité Famille auprès des détenues.

« Ce serait un peu ridicule », selon le syndicat des agents correctionnels

En entrevue à ICI RDI, le président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec, Mathieu Lavoie, a admis sans détour que son syndicat ne voit pas une telle mission d’observation d’un bon oeil. 

« Avoir des observateurs externes, ça devient compliqué à l’intérieur des lieux. On ne peut pas rentrer dans une prison comme on peut rentrer dans un magasin », a-t-il commenté. « Je ne pense pas qu’on serait nécessairement en faveur. »

Si une telle mission devait néanmoins avoir lieu, le syndicat demanderait assurément « à ce qu’il y ait un observateur syndical pour observer que la sécurité est bien mise en place », a-t-il ajouté. « À un moment donné, on deviendrait une foule dans l’établissement. Ce serait un peu ridicule. »

Selon M. Lavoie, certains des problèmes vécus à l’Établissement Leclerc sont les mêmes qu’ailleurs en province. « Quand on parle de confinement ou de coupures de services, souvent, c’est lié à un manque d’effectifs, c’est lié à différentes problématiques, et ce n’est pas réservé exclusivement à la clientèle féminine », assure-t-il.

Quant à la mixité des lieux, il s’agit d’un « faux débat », croit le chef syndical. « Je pense que c’était beaucoup au niveau des méthodes de travail. Il y a des adaptations à avoir quand on ferme un établissement et qu’on vient mettre de la mixité dans un autre établissement », affirme-t-il.

«C’est sûr qu’il y a peut-être eu des contacts visuels, et c’est à cet égard là qu’on essaie de changer les méthodes de travail. On a fait des propositions justement pour s’assurer de [les] restreindre au maximum et de s’assurer que les deux clientèles, que ce soit masculine ou féminine, ne soient pas pénalisées ou le moins possible. »» – Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec

« C’est là-dessus qu’on travaille actuellement à l’Établissement Leclerc. C’est de changer les méthodes de travail, de s’assurer que ça fonctionne. C’est peut-être le bout qui n’avait pas été fait au départ de la part des dirigeants de l’établissement. C’est là-dessus qu’on a travaillé ces dernières semaines. »

Article issu de Ici.Radio-canada.ca

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