Réfugié, un statut précaire au Canada

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Quand on est arrivé en tant que réfugié au Canada, retourner dans son pays d’origine, ne serait-ce qu’une fois, peut coûter très cher. Des demandeurs d’asile l’ont appris à leurs dépens : après avoir dûment obtenu leur résidence permanente, des centaines d’entre eux se sont vu retirer leur statut et leurs privilèges et risquent même l’expulsion. Leur faute ? Ils sont retournés dans leur pays pour des funérailles, un mariage ou une urgence familiale.

Alors que ces cas s’accumulent, cette précarisation du statut de réfugié, qui découle d’une réforme du gouvernement Harper en 2012, doit cesser immédiatement, estiment des spécialistes du droit des réfugiés, qui pressent le gouvernement Trudeau d’agir.

Après avoir déposé un projet de loi privé (C-333) sur le sujet en décembre dernier, la députée néodémocrate, Jenny Kwan, entend talonner le nouveau ministre de l’Immigration, Ahmed Hussen, pour qu’il lui emboîte le pas et annule la réforme des conservateurs. « L’ancien ministre [John] McCallum m’avait dit qu’il s’attaquerait au problème, mais rien n’a été fait », a souligné Mme Kwan, députée de Vancouver-Est, précisant que les libéraux s’étaient pourtant opposés à cette réforme migratoire en 2012.

Depuis 2013, sur un total de 561 demandes de révocation du statut de réfugié faites par les autorités canadiennes, 224 réfugiés ont perdu leur résidence permanente et tous les droits qui viennent avec elle, d’après les chiffres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

Avant 2012, un réfugié qui retournait dans le pays qu’il avait fui, avec le passeport dudit pays, courait le risque de perdre son statut de réfugié. Mais cela n’affectait pas son statut de résident permanent (qui est généralement obtenu après l’octroi de celui de réfugié) ni les droits qui y sont associés, comme celui de travailler et d’étudier. Mais dans le but de déceler les fraudes, le gouvernement Harper a modifié la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et, désormais, le réfugié qui perd son statut perd aussi sa résidence permanente si la preuve est faite qu’il est retourné dans son pays d’origine ou qu’il a demandé un renouvellement de passeport.

« C’est complètement absurde, soutient Janet Dench, directrice du Conseil canadien pour les réfugiés (CCR). [Cette réforme] n’a aucun sens et ça va totalement à l’encontre des intérêts du gouvernement canadien, qui veut protéger les réfugiés et les encourager à s’intégrer. C’est un non-sens absolu et ça ne sert à rien. »

 Des cas concrets

 Le cas d’un réfugié d’origine colombienne a fait l’objet d’une des plus récentes décisions de la Cour d’appel fédérale sur la question de la perte d’asile. C’est celui de M. Bermudez, qui est retourné en Colombie à deux reprises pour rencontrer et marier sa fiancée et qui a utilisé son passeport colombien pour voyager, notamment au Mexique. La Cour a conclu que, dans un cas comme celui-ci, la loi oblige le gouvernement à le dépouiller de son statut et de sa résidence permanente. M. Bermudez, qui vit pourtant au Canada depuis plus de 10 ans et a trois enfants nés au pays, risque à présent l’expulsion. Il a appelé de cette décision rendue en avril 2016. L’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés (ACAADR) avait à l’époque exhorté le gouvernement à modifier la loi « de façon urgente ».

La députée Jenny Kwan cite le cas d’un réfugié ayant fui le régime de Saddam Hussein pour venir au Canada et qui est retourné dans son pays des années plus tard pour voir un proche mourant, « alors qu’il n’y avait plus de menace dans ce pays », explique-t-elle. « Il a perdu sa résidence permanente. » Elle évoque aussi le cas d’un autre réfugié qui a dû retourner à deux reprises dans son pays d’origine parce que, la première fois, alors qu’il y allait pour se marier, il a plutôt dû assister aux funérailles de son beau-père. « Il a ensuite demandé la citoyenneté et déposé une demande pour parrainer son épouse, mais comme il était retourné deux fois dans son pays, le Canada a révoqué son statut de réfugié [et de résident permanent] et a suspendu sa demande de parrainage », déplore-t-elle. « Il doit maintenant voir sa femme dans un troisième pays ! »

Selon Mme Kwan, les gens ont le droit de voyager, peu importe la raison. « Et ce n’est pas parce qu’ils ont demandé l’asile que la Charte des droits ne s’applique pas à eux. Et elle garantit le droit à la mobilité, c’est donc une violation de notre propre charte », souligne-t-elle. Elle déplore que la loi soit rétroactive, faisant en sorte qu’un réfugié peut voir révoquer son statut pour un séjour qu’il a fait avant que la loi n’entre en vigueur, sans savoir qu’il allait être fautif et que ça pourrait un jour être retenu contre lui.

 Ignorance et panique

Cette question de perte d’asile est source de vive inquiétude et de « panique » pour les réfugiés, constate Janet Dench, du CCR. Sans compter qu’il existe encore beaucoup d’ignorance et de confusion autour de cette loi modifiée par les conservateurs, ajoute-t-elle. Lors d’un récent congrès, un réfugié syrien a raconté qu’une employée de Citoyenneté et Immigration Canada lui a dit qu’il n’y avait aucun problème à ce qu’il voyage en Syrie avec son passeport syrien.

Étant donné que peu de gens sont au fait des règles, l’effet recherché est presque absent, constate Hélène Mayrand, professeure de droit à l’Université de Sherbrooke. Même si l’objectif des conservateurs était louable, « les récentes décisions devant les cours fédérales témoignent de l’absence de lien concret entre la perte du statut de résidence permanente et la réduction des fraudes dans notre système d’immigration », soutient-elle.

Depuis 2012, des fonds spéciaux de plus de 15 millions de dollars sur quatre ans ont été octroyés à l’Agence des services frontaliers pour déceler les potentiels cas de pertes d’asile. Pour la directrice générale du CCR, mettre autant de ressources à débusquer ces cas est inutile et n’aide pas à accélérer le traitement des nombreuses demandes d’asile ou de résidence permanente.

Au cabinet du ministre de l’Immigration, on indique simplement que M. Hussen « envisage de s’en occuper avec d’autres réformes du programme d’asile ».

Paru dans le Devoir

crédits photo: Renaud Philippe