Voilà des semaines que l’expression « racisme systémique » suscite la polémique. D’un côté, on accuse (à tort) ceux qui prononcent ces mots honnis et réclament une commission sur le sujet de vouloir faire le « procès » de la société québécoise. De l’autre, on a un premier ministre qui accuse (aussi à tort) son adversaire de faire du « négationnisme », rien de moins.
Aucune de ces postures ne fait avancer le débat, il va sans dire. Personne n’est dupe du fait que l’on instrumentalise de part et d’autre cet enjeu à des fins politiques. Et les grands laissés-pour-compte de cette joute partisane restent encore et toujours les nombreux citoyens pour qui la discrimination systémique n’est ni un débat sémantique ni une stratégie électoraliste, mais une source d’injustices quotidiennes.
Pendant ce temps, en Ontario, à la suite de consultations publiques, on a rendu public un plan contre le racisme systémique suivi d’un projet de loi. Même si, ici comme ailleurs, une épaisse couche de déni recouvre cet enjeu tabou, personne n’a accusé le gouvernement de Kathleen Wynne de faire le « procès » de l’ensemble de la société ontarienne en s’attaquant de front au problème. Personne n’a dit que l’on comparait l’Ontario à l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Et on n’a pas eu besoin de mettre trois paires de gants blancs avant de prononcer les mots « racisme systémique ». Le problème est nommé et clairement défini par le gouvernement ontarien.
« Le racisme systémique se manifeste lorsqu’une institution, ou un ensemble d’institutions agissant conjointement, crée ou maintient une iniquité raciale. Cette attitude n’est pas toujours intentionnelle et ne signifie pas nécessairement que le personnel au sein d’un organisme concerné est raciste. » (Source : Direction générale de l’action contre le racisme, Ontario)
Au Québec, l’expression « racisme systémique », le plus souvent mal comprise, ne passe pas. Même des observateurs aguerris semblent confondre « systématique » et « systémique ». Il est vrai, comme le souligne la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française, que ces mots prêtent à confusion. « Systématique » veut dire « qui obéit à un système ». « Systémique », apparu sous l’influence de l’anglais « systemic », signifie plutôt « relatif à un système pris dans son ensemble ».
La nuance est importante. Lorsqu’on parle de « racisme systémique » dans une société, cela ne veut pas dire que le racisme y est érigé en système. Cela ne veut pas dire que des suprémacistes blancs sont au pouvoir. Cela ne veut pas dire que la société dans son ensemble est raciste ou doit se sentir coupable. On fait plutôt référence à un système complexe et pernicieux qui, sans être conçu pour exclure quiconque, finit par le faire. Un système qui fait en sorte, par exemple, que des immigrés de minorités visibles ont plus difficilement accès à des emplois correspondant à leurs compétences même quand ils sont hautement qualifiés. Pour les femmes immigrées, le poids des discriminations croisées (racisme et sexisme) a des effets particulièrement dévastateurs. Qu’elles soient ingénieures ou pharmaciennes, on les dirigera d’emblée, encore plus que les hommes, vers des emplois déqualifiants, sans tenir compte de leurs diplômes. La pharmacienne deviendra préposée aux bénéficiaires. L’ingénieure deviendra éducatrice en service de garde…
Des décennies de féminisme nous ont amenés à mieux comprendre ce qu’est la discrimination systémique fondée sur le sexe et à mieux agir pour la combattre. Combien de temps faudra-t-il pour que l’on fasse le même chemin en matière de racisme systémique ?
Si l’expression « racisme systémique » enflamme trop les esprits et reste mal comprise, on peut parler de façon plus large de discrimination systémique fondée sur la « race ». Une discrimination plus subtile que la discrimination directe que l’on a en tête quand on parle de « racisme », mais beaucoup plus courante, comme l’a reconnu la Cour suprême. Rien n’empêche le gouvernement d’agir dès maintenant contre cette discrimination – montrer l’exemple dans la fonction publique serait un bon départ – tout en continuant de réfléchir à la question avec les gens qui sont au fait de ces enjeux trop souvent invisibles.
Ne pas en parler n’est pas une avenue valable. En parler de façon irresponsable ou dans le seul but de se faire du « capital politique » non plus. Au-delà du débat sémantique, au-delà du triste théâtre partisan auquel nous assistons, il y a des inégalités qui ne disparaîtront pas si on se contente de cacher les mots qui les désignent.
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Ma série sur les lacunes dans le processus d’enquêtes policières en matière d’agression sexuelle et le soutien offert aux victimes a suscité de nombreuses réactions. Certains se sont demandé comment il se fait que personne, ni au CLSC ni à la Sûreté du Québec, n’ait orienté la jeune femme en détresse dont je racontais l’histoire vers un centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC).
En principe, la SQ dit orienter systématiquement les victimes vers un CAVAC. Et de façon générale, les liens entre les corps policiers et les CAVAC sont faits de plus en plus rapidement. Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait dans le cas rapporté samedi ? Mystère. Mais comme je le notais lundi, ce cas n’est pas unique. Un rapport récent du Comité permanent de la condition féminine rappelait à quel point, en l’absence d’une approche mieux coordonnée, il peut être épuisant pour les victimes d’agression sexuelle d’obtenir de l’aide.
Avant même de déposer sa plainte à la police, la victime aurait pu être dirigée vers un CAVAC par son CLSC. Beaucoup de gens croient à tort qu’il faut faire une plainte à la police pour avoir droit à ce service. Dans les faits, une personne victime d’un acte criminel, ses proches et les témoins peuvent recourir à ce service même s’il n’y a pas eu de plainte. Le CAVAC offre une intervention post-traumatique, accompagne la victime dans ses démarches et l’aide à faire une demande d’indemnisation (IVAC) qui permet dans certains cas d’obtenir des services de psychothérapie. Au besoin, il peut orienter la victime vers un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS).
Deux précisions au sujet des CALACS. J’ai indiqué qu’il y avait de 2 à 12 mois d’attente pour une victime qui voudrait y obtenir de l’aide. C’est vrai pour les centres qui ont une liste d’attente. Mais j’aurais dû préciser que ce ne sont pas tous les CALACS qui sont aux prises avec ce problème. Environ la moitié d’entre eux arrivent à répondre à toutes les demandes immédiatement.
Dernière précision : j’ai donné à la fin du dossier le numéro de la ligne d’écoute pour les victimes d’agressions sexuelles (1-888-933-9007) en l’attribuant à tort aux CALACS. Il s’agit en fait d’une ligne d’écoute provinciale, gérée par le Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal. Elle est confidentielle et accessible en tout temps, partout au Québec.
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