Trop d’obstacles à l’indemnisation des victimes d’agressions sexuelles

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Mais la définition de la culture du viol demeure floue ou incomprise pour plusieurs, même pour un organisme qui devrait pourtant saisir l’importance de cet enjeu, la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels. Saviez-vous qu’une victime d’agression sexuelle aura fort à faire pour obtenir une indemnisation auprès de cet organisme gouvernemental ?

Actuellement, il existe un régime relevant de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) qui est régie par une loi portant le même nom et qui a pour but de venir en aide aux victimes d’actes criminels : l’IVAC (Indemnisation des victimes d’actes criminels). Bien que cette mesure ait une noble intention, certains de ses règlements sont discriminatoires et son application par des agentes et agents peut être teintée des manifestations de la culture du viol.

La culture du viol englobe tous les comportements qui ont comme conséquence qu’une agression sexuelle ne sera pas prise au sérieux, ou sera excusée. C’est la victime qui sera culpabilisée au lieu de l’agresseur. Lorsqu’on parle de culture du viol, la victime en question est majoritairement une femme, compte tenu du fait que nous vivions dans un système patriarcal. Il est difficile de ne pas être contaminée par la culture du viol, qu’on soit étudiante ou étudiant, juge, intervenante sociale ou intervenant social, policière ou policier, et bien sûr, dans le cas qui nous concerne, les agentes ou les agents à l’IVAC.

Dans le cadre d’un projet d’organisation communautaire en techniques de travail social au cégep, nous avons choisi de documenter cette problématique, qui constitue un obstacle à l’obtention d’un soutien adéquat et adapté pour les victimes d’agressions sexuelles et d’organiser un rassemblement mettant en lumière les manifestations de la culture du viol au sein de l’IVAC afin qu’un réel changement s’enclenche. Comme notre équipe est composée uniquement de femmes et que l’une d’entre nous est une survivante à qui l’IVAC a refusé l’indemnisation, ce projet nous tient grandement à coeur.

Lourdeur des processus

Durant nos recherches, nous sommes tombées sur un rapport d’enquête sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) publié par le Protecteur du citoyen intitulé : « Pour une prise en charge efficace et diligente des personnes vulnérables ». Plusieurs recommandations faites à l’intention la direction de l’IVAC en sont ressorties. C’est en analysant le rapport que nous avons constaté que plusieurs pratiques administratives critiquées sont teintées par les mythes et préjugés de la culture du viol. Parmi les obstacles à l’accès, on trouve entre autres le délai de prescription. Les victimes n’ont que deux ans pour faire une demande d’indemnisation. En raison de la lourdeur des processus officiels, du sentiment de honte, de la crainte de ne pas être crue et d’être jugée, une femme peut avoir besoin de beaucoup de temps avant de se sentir apte à faire ces démarches.

Aussi, compte tenu du fait que l’IVAC indemnise surtout des femmes et des enfants ayant vécu de la violence conjugale ou sexuelle intrafamiliale, il est inapproprié de leur demander de respecter ce délai plutôt court, car la nature de la relation entre la victime et l’agresseur constitue un frein à la demande. 

Autre obstacle : le diagnostic d’un médecin pour faire une demande à l’IVAC est requis depuis peu afin de prouver les conséquences physiques et/ou psychiques des agressions. Un examen médical à la suite d’une agression sexuelle doit être vite entrepris. Le rythme de la victime, qui pourrait être sous le choc ou simplement ne pas être prête à dévoiler son agression, n’est pas respecté par cette exigence. Ainsi, on préconise la parole d’une professionnelle ou d’un professionnel plutôt que celle de la victime pour prouver son admissibilité.

Nous déplorons aussi l’application arbitraire de l’IVAC par certaines agentes ou certains agents, qui constitue un frein à l’indemnisation. Les mythes et préjugés par rapport à la culture du viol sont présents dans toutes les sphères de la société. Ainsi, il est difficile, même en tant que professionnelle ou professionnel, de mettre de côté ses croyances personnelles et ce que la société véhicule comme message.

Selon la Direction de l’IVAC, il y a présence de faute lourde de la part d’une victime lorsque celle-ci a eu un comportement insouciant tout en étant consciente des conséquences possibles de ses actes. Ainsi, on entend qu’une victime a pu provoquer son agression sexuelle en posant certains gestes. La faute lourde est appliquée entre autres aux femmes dans l’industrie du sexe, qui ne se voient à peu près jamais indemnisées pour les agressions sexuelles, pourtant fréquentes, dont elles sont victimes. Peu importe le comportement de la femme, que ce soit de sortir tard le soir, de consommer de l’alcool ou de la drogue ou de s’habiller de façon provocante, cela ne donne absolument pas le droit de l’agresser.

Nous souhaitons donc interpeller la Direction de l’IVAC et la ministre de la Justice, madame Stéphanie Vallée, afin que la loi de l’IVAC soit modifiée pour être plus adaptée aux besoins et réalités des victimes d’agressions sexuelles.

Billet d’ Isabel Matton, Laurence Bernard, Sânziana Chira et Valérie Joly – Mme Matton est une survivante d’agression sexuelle. Les auteures sont toutes étudiantes en techniques de travail social au cégep du Vieux Montréal.

Paru dans Le Devoir

photo: Jacques Nadeau Le Devoir