Violences sexuelles à l’université : un fléau bien réel

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« Il me complimentait sur mes fesses quand je portais certains pantalons. […] Il se tenait toujours trop proche de moi et quand je lui demandais de sortir de « ma bulle », il s’offusquait. Il saisissait chaque occasion pour se coller contre moi. Il me disait régulièrement que si jamais il apprenait que je le dénonçais pour harcèlement sexuel, il ne pourrait s’en remettre. P.-S. J’ai dénoncé la situation, il a été reconnu coupable et suspendu… mais c’est moi qui ai perdu mon emploi, car mon contrat dépendait de lui. »

C’est le genre de témoignage troublant qu’on peut lire dans le rapport Violences sexuelles en milieu universitaire au Québec, qui sera rendu public aujourd’hui. Cette vaste enquête, dirigée par Manon Bergeron, professeure de sexologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a été menée auprès de plus de 9000 répondants de six universités québécoises. L’étude, qui est la première à dresser un portrait de la situation au Québec, confirme que ces cas ne sont malheureusement pas qu’anecdotiques et ne se limitent pas aux activités d’initiation. On parle plutôt d’un fléau : plus du tiers (37 %) des personnes travaillant ou étudiant à l’université ont déjà subi au moins une forme de violence sexuelle.

Au-delà des chiffres, les chercheuses ont reçu quelque 2000 récits de victimes – le plus souvent des étudiantes de premier cycle. Et même si les cas d’agressions sexuelles sur des campus universitaires défraient la chronique depuis quelque temps, même si le quart des répondants rapportent avoir vécu au moins une forme de violence sexuelle dans la dernière année, le plus souvent, un grand silence recouvre ce fléau : 90 % des victimes n’ont jamais porté plainte ou même signalé la chose à l’université. « Cela nous dit que les chiffres officiels sur les plaintes ne rendent pas compte de la situation. Cela révèle aussi un manque de confiance envers les universités », observe Manon Bergeron.

Le fait que la majorité des victimes gardent le silence ne signifie pas que ces gestes sont sans conséquence. Environ la moitié des victimes (47 %) disent que cela a porté atteinte à leur réussite scolaire ou professionnelle, leur vie personnelle ou leur santé physique et mentale. Pour près d’une victime sur dix (9 %), les conséquences s’apparentent à un état de stress post-traumatique. 

« Pour les personnes qui s’imaginaient encore que c’était banal, ça montre bien que ce n’est pas le cas », observe Manon Bergeron. Des victimes sont constamment sur leurs gardes et font des efforts pour éviter des situations leur rappelant leur traumatisme. « Alors que l’université est censée être un milieu de vie sécuritaire, où on se sent bien, ce ne l’est plus pour certaines personnes qui changent de programme, évitent certains endroits et certaines personnes », poursuit-elle.

L’étude révèle par ailleurs que les préjugés envers les violences sexuelles restent bien présents au sein de la communauté universitaire. Les mythes qui contribuent à culpabiliser les victimes, à banaliser les gestes de violence sexuelle et à déresponsabiliser ceux qui les commettent ont la tête dure. Par exemple, devant l’énoncé : « Lorsque des femmes s’habillent sexy, elles envoient des messages contradictoires aux hommes », 20 % des répondants se disent en accord ou neutres. Et on parle pourtant ici de gens instruits qui étudient ou travaillent à l’université.

Autre exemple, devant l’énoncé : « Si une personne ne se défend pas physiquement ou ne dit pas « non », on ne peut pas parler d’agression sexuelle », près de 16 % des répondants se disent aussi en accord ou neutres. Ce qui montre que le message de la campagne sur le consentement « Sans oui, c’est non ! » n’est pas encore assimilé par toute la communauté universitaire.

À la lumière des résultats finaux de leur enquête, les chercheuses proposent 15 recommandations pour prévenir la violence sexuelle en milieu universitaire. On recommande notamment une loi-cadre et un plan d’action du gouvernement du Québec qui obligeraient les établissements d’enseignement postsecondaire à lutter contre la violence sexuelle. Mise sur pied de campagnes de sensibilisation permanentes et d’un programme visant les témoins potentiels de situations de violence sexuelle et création d’une ressource spécialisée accessible à l’ensemble de la communauté universitaire font aussi partie des mesures proposées.

« On aimerait que le rapport soit un outil de mobilisation. On ne veut pas ce soit un rapport tabletté ! », dit Manon Bergeron. La chercheuse voit d’un oeil très positif le fait qu’il y ait une prise de conscience autour de ces enjeux qui dépasse le seul milieu étudiant. Elle espère pouvoir remettre l’étude en mains propres à la ministre responsable de l’Enseignement supérieur, Hélène David, aujourd’hui.

« L’enjeu principal, c’est les ressources », souligne Manon Bergeron. Une loi, aussi bonne soit-elle, ne servirait pas à grand-chose si les moyens de la respecter ne suivent pas.

À la suite des cas d’agressions sexuelles rapportés à l’Université Laval l’automne dernier, la ministre David a annoncé son intention de travailler avec les universités pour faire du Québec « un chef de file » en matière de prévention, de sensibilisation et de gestion des plaintes de violences à caractère sexuel. Elle a invité les établissements d’enseignement supérieur à consulter leurs membres quant aux meilleures mesures à adopter et à lui envoyer les résultats de ces consultations d’ici le 20 janvier. Cinq journées de réflexion sont prévues cet hiver pour en discuter.

Le Bureau de coopération interuniversitaire a déjà pondu l’automne dernier un rapport fort étoffé recensant les meilleures pratiques. En y ajoutant les résultats et les recommandations de l’enquête dirigée par Manon Bergeron, la ministre David a en main toutes les données pour adopter des mesures musclées afin de lutter contre les violences à caractère sexuel sur les campus universitaires et dans les collèges.

On a cerné le problème. On a proposé les solutions. Maintenant, si Québec veut vraiment être un chef de file en prévention, il faut passer à l’action.

Enquête sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire: en chiffres

37 % des personnes travaillant ou étudiant à l’université ont subi au moins une forme de violence sexuelle depuis leur arrivée à l’université.

34 % ont subi du harcèlement sexuel. Exemple : on leur a raconté, de manière répétitive, des histoires ou des blagues sexuelles qui étaient offensantes pour elles.

18 % ont subi des comportements sexuels non désirés. Exemple : on a tenté de les caresser, de les embrasser ou de se frotter contre elles alors qu’elles ne le souhaitaient pas.

3 % ont subi de la coercition sexuelle. Exemple : on leur a fait craindre des représailles si elles refusaient de s’engager dans des activités sexuelles.

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47 % des violences sexuelles en milieu universitaire ont lieu lors d’activités sociales ou festives (excluant les initiations).

39 % ont lieu dans le cadre d’activités d’enseignement ou d’études.

31 % ont lieu pendant l’exécution de tâches professionnelles non reliées à l’enseignement.

12 % ont lieu lors d’une initiation.

(Source : Enquête Sexualité, Sécurité et Interactions en Milieu Universitaire – Ce qu’en disent étudiant.es, enseignant.es et employé.es. L’enquête regroupe 12 chercheuses provenant des six universités suivantes : Université du Québec à Montréal, Université de Montréal, Université Laval, Université de Sherbrooke, Université du Québec en Outaouais et Université du Québec à Chicoutimi.)

Paru dans La Presse

crédits photo: André Pichette