Une situation «intenable» pour La Traversée

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Incapable de répondre à la demande croissante des victimes d’agression sexuelle qui cherchent de l’aide, l’organisme La Traversée lance un cri du coeur : la liste d’attente pour obtenir une thérapie ne cesse de s’allonger et les délais s’étirent maintenant sur six mois pour les enfants et les adolescents, et sur huit mois pour les femmes. « Cette situation est tout simplement intenable », déplore Pierre Ménard, directeur général de l’organisme.

 Marie-Karina Dimitri a les larmes aux yeux. Elle prend une grande respiration et raconte son « calvaire », qui a duré 40 ans. « Je ne me souviens même pas quel âge j’avais tellement j’étais jeune. Ç’a duré de nombreuses années. C’était un homme que j’aimais et que je respectais. Ce dont je me souviens, c’est que, pendant que les gestes étaient commis, tout ce que j’essayais de faire, c’était de me sauver de ce corps que je ne contrôlais plus. »

 Adolescente, lorsqu’elle a raconté à ses parents ce qu’elle avait subi pendant toutes ces années, ceux-ci ne l’ont pas crue.

 Marie-Karina a eu un parcours de vie trouble : tentatives de suicide, automutilation, délinquance, violence… « J’ai probablement reproduit très fidèlement le modèle de l’agressée qui se fout de tout, y compris de son corps, parce que, de toute façon, on ne ressent plus rien. »

 Le vide

 La jeune femme a poursuivi des études, elle a fait une « belle carrière » et a fondé une famille. « J’avais l’impression de me replacer, mais le vide n’était jamais loin. Il n’y avait pas une journée qui passait sans que j’y repense, sans que je ressente les angoisses, sans que le ventre me serre, que la gorge m’empêche de parler, raconte-t-elle avec beaucoup d’émotion. Il y avait surtout la peur, qui me ramenait en arrière. »

 Des années plus tard, elle a consulté en psychiatrie pour autre chose. C’est là qu’elle a découvert qu’elle était en choc post-traumatique. « Contrairement à ce que je pensais, je ne m’en étais pas sortie indemne. C’est là que j’ai “frappé un mur”. C’est là que j’ai eu envie à nouveau — elle s’arrête quelques secondes pour reprendre le contrôle de sa voix qui chavire — de mettre fin à tout ça. »

 À défaut de se battre pour elle, elle a choisi de le faire pour ses filles. Elle a fouillé sur le Web pour obtenir de l’aide. Elle a laissé « plein de messages ». Et c’est La Traversée qui l’a rappelée. « Pour la première fois de ma vie, on m’a crue, on a validé ma souffrance. On ne me disait pas de regarder vers l’avant et d’oublier le passé […] Ils m’ont redonné le contrôle de ma vie. »

 Au-delà de la dénonciation

 Aujourd’hui, Marie-Karina va mieux. Elle souhaite aider à son tour l’organisme qui l’a sauvée et qui ne répond plus à la demande. Son directeur général, Pierre Ménard, affirme avoir besoin de 500 000 $ sur trois ans pour doubler son personnel et réduire le temps d’attente à des délais « raisonnables ». Il espère que Québec a prévu une aide pour les organismes comme le sien dans le cadre de la stratégie gouvernementale pour contrer les violences sexuelles qui a été annoncée l’automne dernier.

 « Si on encourage la dénonciation, il faut qu’il y ait quelqu’un pour aider les victimes, martèle l’ambassadrice de l’organisme, Marie-Claude Barrette. Dénoncer, c’est une étape, mais on n’est pas guéri. Au contraire, des fois, on peut être jugé. C’est d’autant plus important d’avoir de l’aide. »

 Au-delà des campagnes de prévention, il faut parler des impacts sur les victimes, expliquer « ce qui se passe dans le corps et dans l’esprit détruit des victimes, conclut Marie-Karina. Il faut faire comprendre au public pourquoi les victimes ont des comportements qu’il va juger souvent bizarres ou inappropriés. Croyez-moi, il n’y a pas une femme qui reste là parce qu’elle aime ça. »

Paru sur le Devoir 

Crédits photo: Jacques Nadeau