Un nouveau rapport critique le Housing First

rapsim

 Le rapport en question fait en effet une démonstration intéressante des limites du modèle Housing First et du fait que l’approche du « one size fits all » n’est pas à même de mettre fin à l’itinérance au Canada.

Un modèle qui s’impose…

Le Housing First est un modèle ciblant essentiellement une partie de la population en situation d’itinérance, à savoir les personnes itinérantes chroniques. Il vise à placer rapidement en logement privé les personnes sans y mettre de conditionnalité quant à leur état, et à leur fournir des services associés.

En 2014, le gouvernement conservateur a renouvelé le programme fédéral de lutte à l’itinérance, la SPLI (Stratégie de Partenariats pour lutter contre l’itinérance) mais en changeant complètement son orientation pour imposer le Housing First dans les différentes communautés. Ainsi, les grandes villes du Canada – parmi lesquelles Montréal et Québec- n’ont d’autre choix que d’orienter 65% des financements vers le développement de ce modèle, au détriment des autres réponses en itinérance.

Comportant pourtant de nombreuses faiblesses

Une approche qui se confronte au manque de logements disponibles
Le modèle du Housing First est basé sur le fait de pouvoir utiliser un stock important de logements abordables disponibles. Or, selon le rapport, c’est un défi majeur du fait du manque de logements sociaux et abordables dans beaucoup de communautés au Canada. Cet état de fait a mené à ce que les participantEs de divers programmes ne puissent avoir finalement de choix dans la sélection de leur logement, ce qui est pourtant un des principes fondamentaux du modèle, ou se retrouvent à payer une part bien trop importante de leur budget pour leur loyer, situation les fragilisant grandement.

Par ailleurs, à Winnipeg, le développement d’un tel modèle a eu pour effet de désavantager les personnes à faible revenu non participantes, les propriétaires augmentant les loyers du fait de la hausse de la demande en logements abordables, mettant ainsi en concurrence des personnes en situation et à risque d’itinérance.

Le Housing First ne permet donc pas, contrairement au logement social, d’agir sur l’offre de logements et de garantir que les personnes paient un loyer juste au regard de leur faible revenu et aient accès à un logement décent.

Un modèle qui n’agit pas sur la prévention de l’itinérance et qui ne cible qu’une partie de la population itinérante

L’une des principales lacunes du Housing First nommée par le rapport est le fait qu’il n’agit en rien pour éviter que de nouvelles personnes se retrouvent à la rue. C’est, par définition, une approche dite réactive, s’occupant seulement des personnes qui sont déjà dans la rue dans une situation chronique. Or, « peu importe combien de personnes se trouvent relogées, tant que les causes structurelles de l’itinérance ne seront pas adressées, plus de Canadiens se retrouveront en situation d’itinérance » constate le rapport.

La montée du Housing First et son imposition ont eu et continuent d’avoir des impacts majeurs sur l’ensemble de la population en situation et à risque d’itinérance, mais aussi sur les organismes agissant dans la lutte à l’itinérance, du fait des coupures de services que cela a entraîné. La réorientation des fonds, notamment au fédéral, vers le Housing First s’est faite au détriment de services essentiels à la fois en première ligne mais aussi agissant en prévention : refuges, centres de jour, travail de rue, services alimentaires,…

Une approche qui ne répond pas aux besoins des femmes, des jeunes et des Autochtones

Dans son évaluation du programme Streets to Homes, la Ville de Toronto a constaté peu d’impacts positifs pour les participantEs autochtones comparé aux autres participantEs. Plusieurs hypothèses ont été avancées : une plus grande mobilité de ces populations rendant plus difficile une stabilité résidentielle, une méfiance également de ces populations sur le fait de ne pas être accompagnés par des organisations autochtones, ou encore un rapport à la communauté différent et le besoin d’une approche plus holistique non limitée au seul logement.

Le modèle Housing First rencontre également de nombreuses limites avec les jeunes en situation d’itinérance, avec un défi majeur qui est de construire la confiance nécessaire avec une population souvent ayant eu de mauvaises expériences dans le passé avec des figures d’autorité. L’isolement dû au placement en logement privé est aussi un obstacle important pour les jeunes, pour lesquels l’appartenance à un groupe ou réseau est essentielle.

Enfin, concernant les femmes en situation d’itinérance, le principal problème est que les programmes Housing First puissent ne serait-ce que les rejoindre. En effet, l’itinérance au féminin se caractérise par son aspect caché. Les femmes en situation d’itinérance passent ainsi sous le radar du fait que le Housing First cible seulement les personnes dans la rue, qui sont en très grande majorité des hommes.

Une approche seule qui n’est pas viable

Le rapport conclut donc que comme le Housing First n’agit pas dans la prévention de l’itinérance et n’adresse pas les besoins de l’ensemble de la population en situation et à risque d’itinérance, il n’est donc pas viable de seulement concentrer les fonds et les stratégies publiques sur ce modèle.

Il doit au contraire être intégré dans une approche plus large, dont le principal focus devrait être de cibler les racines du phénomène de l’itinérance, avec le but de prévenir l’itinérance. Le rapport recommande donc comme étapes essentielles à cette fin que soient construits suffisamment de logements sociaux et abordables, et qu’une pluralité de réponses reste disponible pour les personnes vivant l’itinérance.

Un tel constat rejoint largement la position du RAPSIM qui demande à ce que la SPLI revienne à son approche originelle, généraliste, permettant de financer la diversité d’interventions nécessaire en itinérance, et que le gouvernement fédéral réinvestisse dans le développement de logements sociaux.

L’esprit de la Politique nationale de lutte à l’itinérance, adoptée au Québec en février 2014, va aussi dans le sens de la nécessité d’une approche globale agissant sur les causes de l’itinérance, et se déployant sur plusieurs axes : le logement, mais aussi l’éducation et l’insertion, la santé et les services sociaux, la cohabitation sociale et la judiciarisation et le revenu.

Texte rédigé par Anne Bonnefont, organisatrice communautaire au RAPSIM