Le sommet mondial organisé à Londres par le chef de la diplomatiebritannique, William Hague, a libéré la parole sur les viols de guerre et visé à mettre fin à leur impunité.
Que sait-on des enfants concernés ?
Susan Bissell : D’abord que le nombre est gigantesque. Plus de 150 millions de petites filles et 73 millions de garçons subissent, chaque année, des violences sexuelles, la guerre les rendant beaucoup plus vulnérables. Or ce sont plus d’un milliard d’enfants qui vivent aujourd’hui dans un pays affecté par un conflit. République démocratique du Congo, République centrafricaine,Somalie, Sud-Soudan… La violence sexuelle est utilisée contre eux pourengendrer la terreur, faire éclater les communautés et détruire le tissu social.
Les enfants sont attaqués sur le chemin de l’école, à la collecte d’eau ou de bois, ou même chez eux. Ils sont kidnappés, réduits à l’esclavage, vendus et font l’objet de tous les trafics. Mais la plupart des violences ne sont évidemment jamais rapportées à cause de la honte, du stigmate social et du risque de représailles. Au vu des chiffres dont on dispose, on peut parler d’une véritable épidémie de violences sexuelles. C’est le mot adéquat. Comme pour le paludisme. Et dans beaucoup de zones de guerre, elle se révèle aussi dévastatrice pour la vie des enfants que les balles ou les bombes.
Quels effets sur le long terme ?
Certaines blessures physiques peuvent provoquer la mort, comme d’ailleurs les grossesses précoces, pour la maman ou le bébé. Il y a aussi les maladies sexuellement transmissibles, dont le sida, les risques d’incontinence, d’hémorragies permanentes ou d’infertilité. Le traumatisme peut définitivement endommager le système nerveux d’un enfant, encore en cours de développement, occasionnant nervosité, migraines, phobies, fatigue chronique.
Sans compter la blessure psychologique due à l’atteinte à la dignité, l’anxiété, l’amnésie, l’impossibilité de gérer le stress, la propension au suicide et à l’automutilation. Le sentiment d’être un mort-vivant. C’est une arme de guerre silencieuse qui aura des conséquences terribles sur leur vie d’adulte, sur leurs propres enfants et sur les futures générations.
Les enfants violés ont-ils une propension à dispenser eux-mêmes la violence plus tard ?
Pas systématiquement. Mais les recherches montrent que la façon dont les petits garçons sont socialisés et disciplinés dès la toute petite enfance est un indicateur de leur propension, à l’âge adulte, à se montrer violents. De même que lorsque la violence sexuelle devient la norme dans un conflit, elle finit par s’enraciner dans la culture. Voyez le Libéria. Le niveau extraordinaire de violence contre les petites filles est inséparable des quatorze années de guerre civile avec son lot de viols et d’esclavage sexuel.
Quant aux enfants nés des viols, parfois pendant la captivité de leur mère transformée en esclave, ils restent aux yeux de tous l’incarnation du mal. Ils sont parfois étiquetés « sorciers » et deviennent eux-mêmes des proies idéales pour la violence. Comme le seront les enfants d’enfants-soldats. C’est un cycle infernal.
Comment rompre ce cycle ?
D’abord en mettant fin à l’impunité des violeurs. C’est essentiel. Combien de criminels déférés en justice ? Combien de condamnations ? Presque aucune ! Or il faut des exemples. Il faut des condamnations publiques, par la Cour internationale de justice ou d’autres tribunaux nationaux. Il faut que l’enfant comprenne que la justice est de son côté, qu’il n’est en rien fautif, que la honte doit être du côté des violeurs et pas des victimes. Un enfant doit pouvoir revenir chez lui en sécurité, être aimé, réconforté, pas ostracisé.
Le sommet de Londres a montré que la communauté internationale, enfin mobilisée, allait mettre tout son poids sur le rôle de la justice. Les mentalités changent. Et puis il faut se dire que cette violence, à l’instar de certaines maladies, est évitable. Cela nécessite un grand travail d’éducation, de sensibilisation et de dialogue avec la police, l’armée et les religieux. Cela exige aussi de protéger, soigner, écouter les survivantes des viols. Elles savent mieux que quiconque ce dont elles ont besoin !
Que nous enseigne l’exemple des écolières kidnappées par Boko Haram au Nigéria ?
Il met en lumière le fait que la communauté internationale et de nombreux états protègent bien mal les enfants. L’histoire est particulièrement choquante. Mais chaque jour, ce sont des millions de petites filles qui sont ainsi exposées à la violence. Des millions ! Et il faut un sursaut mondial.
par Annick Cojean, Le Monde, Lire l’article sur le site du Monde