Quand la dépendance se conjugue au féminin

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 «Il est difficile de comprendre cette autodestruction qui accompagne la toxicomanie. Les gens ont tellement de préjugés. On pense à tort que ceux qui consomment ne sont pas comme nous », confie Julie*, 47 ans, qui s’est initiée aux drogues à l’adolescence. Or, l’abus de substances fait des victimes dans tous les milieux.

Accessible en toute légalité, l’alcool est encore la substance la plus souvent en cause dans les problèmes de dépendance, chez les hommes comme chez les femmes. Mais elle est, pour ces dernières, une béquille de choix.

C’est aussi le cas des médicaments sur ordonnance, utilisés pour traiter l’anxiété, la douleur ou le manque de sommeil, et qu’on commencera à prendre après un passage difficile pour en devenir ensuite accro.

La pharmacodépendance connaît une hausse généralisée depuis 10 ans, mais chez les femmes, qui consultent plus facilement leur médecin et qui sont deux fois plus susceptibles de le voir prescrire des médicaments, elle devient épidémique, selon le psychiatre Ronald Fraser, directeur du service de désintoxication en établissement du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Alcool et médicaments sont des dépresseurs du système nerveux central et ont, par conséquent, un effet calmant pour une personne qui vit de l’anxiété, du stress ou des émotions négatives. Il est fréquent que les gens mélangent aussi les deux sans que le médecin le sache, car, comme le fait remarquer l’intervenante en toxicomanie Mélanie Mercure, il n’est pas bien vu d’admettre qu’on boit tous les jours.

La stigmatisation sera par ailleurs moins lourde si une personne consomme une substance légale ou prescrite par un médecin que des drogues dures.

« Les femmes se sont toujours cachées de leur dépendance. Consommer à l’excès n’est pas bien vu pour un homme, mais c’est socialement plus accepté que pour une femme, explique Véronique Bélanger, thérapeute en dépendance au centre 360°dtx. On s’attend, en général, à ce qu’elles soient plus raisonnables et plus responsables. Le sujet reste tabou », ajoute Mme Bélanger.

En réponse à cette stigmatisation, les femmes aux prises avec des problèmes de dépendance plongent souvent dans le silence, de peur d’être jugées par leur entourage. Or, plus la honte domine, moins elles ont tendance à demander de l’aide.

LE LABYRINTHE DE LA CONSOMMATION

Les visages de la dépendance chez les femmes sont multiples, mais certaines particularités se dégagent.

« Un problème de santé mentale, comme la dépression, l’anxiété ou un trouble de la personnalité limite ou obsessionnel-compulsif, est souvent sous-jacent à celui de la consommation, contrairement aux hommes qui se mettent plutôt à consommer en réponse à une pression sociale. »

— Véronique Bélanger, thérapeute en dépendance au centre 360°dtx

Au bout d’un certain temps, un problème finira cependant par alimenter l’autre dans une spirale descendante.

Les femmes sont aussi plus nombreuses à avoir été victimes de sévices physiques, sexuels ou psychologiques, et à tenter de fuir ces anciens traumatismes avec des substances. Par ailleurs, elles ont souvent été introduites aux drogues ou à l’alcool à un âge précoce parce qu’elles fréquentaient des garçons plus âgés qu’elles.

Un autre facteur entre en jeu : les critères de performance actuels, qui exercent une pression additionnelle sur les femmes. « On s’attend à ce qu’elles soient des mères parfaites, des conjointes idéales et des employées modèles », avance Mme Mercure, qui intervient à la maison de thérapie pour femmes Le Portail, où l’on voit apparaître un profil de jeunes mamans qui utilisent des amphétamines afin de se donner l’énergie nécessaire pour maintenir les standards qu’elles se sont fixés.

Les causes de la dépendance féminine changent toutefois pour se rapprocher de celles qu’on remarque chez les hommes. Chez les jeunes femmes, le binge drinking, ou la consommation excessive d’alcool dans un contexte festif, est de plus en plus fréquent. Un comportement qui expose ces dernières à une dépendance à plus ou moins long terme.

Les impacts physiques de l’alcool seront significativement plus sévères chez les femmes, prévient le Dr Fraser. Leur masse musculaire est moins importante et elles sont généralement plus petites. Par ailleurs, les femmes ont une plus grande difficulté à métaboliser les drogues et l’alcool, précise-t-il.

« Pour deux individus de sexe opposé qui ont la même taille et le même âge, la femme répondra physiquement de manière télescopique et subira des conséquences beaucoup plus graves au niveau des organes comme le foie. »

— Le psychiatre Ronald Fraser, directeur du service de désintoxication en établissement du Centre universitaire de santé McGill (CUSM)

QUAND C’EST ASSEZ

Les femmes abusent d’une substance pour deux raisons : pour se sentir moins mal, ou pour se sentir mieux et vivre des sensations fortes. Vient un temps, cependant, où elles atteignent un tournant, lorsque les inconvénients occasionnés par la consommation deviennent plus importants que les avantages qu’elles en retirent. L’élément déclencheur sera souvent un événement marquant. Celui où elles auront l’impression d’avoir atteint le fond du baril.

Durant les années 80, on rapportait une femme dépendante pour cinq hommes ; un rapport qui est aujourd’hui passé à une pour trois, selon Véronique Bélanger. Elles demeurent toutefois encore sous-représentées dans les centres de traitement.

Plusieurs raisons expliquent que les femmes hésitent à aller chercher de l’aide : les tabous, un statut socioéconomique plus bas, mais aussi les enfants. Or, les services ne sont pas adaptés à cette réalité.

Ce facteur familial est celui qui a poussé le centre d’intervention Portage à créer un programme d’hébergement pour les mères et leurs enfants. « Il n’est pas évident pour elles de s’absenter pendant des mois pour faire une thérapie. Elles ont souvent peur qu’on leur retire la garde des enfants », mentionne Patrick Varin, gestionnaire du programme.

En revanche, une fois qu’elles ont mis le pied dans l’engrenage, ce même obstacle deviendra un facteur de motivation important, remarquent les intervenants. Elles sont souvent plus motivées pour leurs enfants qu’elles peuvent l’être pour elles-mêmes.

Une fois en thérapie, les femmes auront aussi tendance à exprimer davantage leurs émotions, ce qui ne veut pas dire qu’elles le font bien, toutefois. Une partie de l’approche consistera à les outiller pour qu’elles puissent mieux les gérer.

Un des grands préjugés est de penser que la dépendance est reliée à un manque de volonté, fait remarquer Ronald Fraser. « Les gens n’ont pas toujours les aptitudes nécessaires pour naviguer à travers la vie, le stress et les émotions. » Le traitement consistera à fournir aux patients les moyens de remplacer les substances auparavant utilisées comme béquilles, et de surmonter ainsi la dépendance avec des réflexes et des habitudes saines.

* Un nom fictif a été utilisé afin de permettre à Julie de se confier plus librement.

LE SAVIEZ-VOUS ?

Une consommation abusive d’alcool n’est pas nécessairement symptomatique d’une dépendance, mais elle expose à des risques de dépendance. Santé Canada recommande de respecter ces quantités : 

Un maximum de deux consommations par jour pour une femme et de trois pour un homme. Par semaine, les femmes ne devraient pas dépasser 10 consommations, et les hommes 15.

Un alcool fort compte pour deux consommations, et il faut noter que les doses ne sont pas cumulatives. Le fait de ne pas boire de la semaine ne fait pas en sorte qu’on peut s’en donner à cœur joie le week-end.

DES RESSOURCES 

Drogue, aide et référence offre un service d’accompagnement téléphonique, jour et nuit.

POUR EN SAVOIR DAVANTAGE : 

Le Centre québécois de documentation en toxicomanie

Le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies

Article paru dans La Presse +

Crédits photo: santemagazine.fr