Pour contrer le phénomène des femmes soumises au travail forcé

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Car c’est un fait documenté que les lieux d’exploitation des ressources naturelles où se trouve une concentration d’hommes séparés de leurs réseaux familial et social favorisent le commerce du sexe, l’exploitation sexuelle et la traite. […]

Le travail forcé

 Moins connue, la traite de personnes dans le but de les soumettre à un travail forcé existe aussi chez nous. Mais cette traite suscite moins d’intérêt de la part des corps policiers et des gouvernements que la prostitution. Par exemple, au Québec, il existe une Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer l’exploitation sexuelle, mais aucun plan d’action contre le travail forcé.

 Des heures non payées ou du travail non rémunéré, des frais frauduleux liés à l’obtention d’un emploi ou d’un logement, des conditions de travail dangereuses ou insalubres, le refus de l’employeur de donner accès à des soins médicaux, etc., voilà autant de types d’exploitation associées au travail forcé. La contrainte peut prendre diverses formes : la tromperie concernant les conditions d’emploi, l’isolement, la surveillance indue, la confiscation des documents d’identité, l’enfermement, la limitation de la liberté de mouvement ou de la capacité à communiquer, la menace de déportation, la violence physique ou le fait d’être forcé de commettre des actes criminels. […]

Au Québec, on sait que les femmes qui travaillent en tant qu’aides familiales attachées au soin des enfants et des personnes âgées ou ayant des limitations fonctionnelles sont particulièrement touchées. Elles sont surtout originaires des Philippines — mais aussi d’ailleurs en Asie —, d’Amérique latine et d’Afrique.

 Ces femmes viennent souvent travailler ici grâce au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et leur permis de travail est lié à un employeur précis. […] Si elles subissent des abus et quittent leur travail, elles peuvent être détenues et renvoyées ensuite dans leur pays d’origine. Devant cette menace, elles préfèrent souvent renoncer à chercher de l’aide ou à dénoncer la situation. Comme ces femmes ont souvent de lourdes charges familiales dans leur pays, elles « choisissent » de vivre dans des situations inacceptables. Peu de ces cas se soldent par des accusations, encore moins par des condamnations. […]

 Alexandra Ricard-Guay et Jill Hanley, coauteures de la recherche Intervenir face à la traite humaine : la concertation des services aux victimes au Canada (CATHII, 2014), rapportent un cas troublant de travail forcé, celui d’une travailleuse domestique venue à Montréal avec ses employeurs originaires du Moyen-Orient. D’abord admise comme touriste, elle s’est ensuite retrouvée dans l’illégalité, ses employeurs lui ayant délibérément obtenu les mauvais papiers. Elle demeurait donc enfermée dans l’appartement familial et n’avait le droit de sortir que pour accompagner son employeur. Sa rémunération était bien en deçà du salaire minimum.

 Lorsque cet employeur est retourné dans son pays d’origine, de nouvelles familles ont retenu les services de la travailleuse. Un matin, après onze années de ce régime, elle a subi un accident vasculaire cérébral (AVC) sur son lieu de travail. Lorsque ses employeurs — des professionnels de la santé — l’ont trouvée sur le plancher, ils l’ont laissée là pendant plusieurs heures avant de l’amener à l’hôpital et de l’abandonner à l’urgence. Durant son hospitalisation de plusieurs mois, elle a parlé de sa situation à un Philippin qui travaillait à l’hôpital et qui l’a mise en contact avec PINAY, une organisation qui lutte pour la défense des droits des travailleuses domestiques d’origine philippine. Une enquête policière a été ouverte. Cependant, aucune accusation n’a pu être portée parce que la travailleuse n’était pas en mesure de fournir suffisamment de détails et parce que plusieurs employeurs étaient en cause. Les gens qui l’employaient au moment de son AVC ont quitté le pays peu après l’avoir amenée à l’hôpital.

 Des pistes de solutions

 On peine à admettre que des situations aussi abjectes existent au Québec. C’est pourtant bien le cas. Pour contrer le phénomène de la traite humaine au Québec, le CATHII et les membres de la Coalition québécoise contre la traite des personnes qu’il coordonne ont défini plusieurs priorités d’action, notamment l’amélioration des conditions de vie des femmes vulnérables à la traite liée à la prostitution […]. Il faut aussi changer les paramètres du PTET afin qu’il ne soit plus lié à un seul employeur et qu’il mène à la résidence permanente et à la citoyenneté si la travailleuse le désire. Il serait aussi important de permettre aux victimes de la traite d’avoir accès au programme québécois d’indemnisation des victimes d’actes criminels, ce qui n’est pas le cas actuellement. Enfin, les groupes communautaires qui interviennent auprès de personnes ayant vécu la traite ou qui assurent la coordination de ces services devraient bénéficier d’un financement public adéquat.

Texte de Sylvie Gagnon – Coordonnatrice du Comité d’action contre la traite humaine interne et internationale (CATHII)

Paru sur Le Devoir

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