Agressions sexuelles sur les campus – Le nombre de plaintes va augmenter, croit Hélène David

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« À partir du moment où il y aura une politique [spécifique pour contrer les violences à caractère sexuel], avec une reddition de compte importante, qu’il y aura des mécanismes en place, qu’on en parlera davantage, que les plaignantes — et les éventuelles plaignantes — vont savoir qu’un processus de qualité est mis en place, j’ai l’impression que ça risque d’augmenter le nombre de plaintes », affirme la ministre en entrevue au Devoir.

 La ministre n’était pas étonnée de voir que le nombre de plaintes, depuis 10 ans, était si peu élevé dans les cégeps et universités, comme le révélait Le Devoir. « Comme ils n’ont pas de politique, pas de plan d’intervention, il n’y a effectivement pas beaucoup de plaintes. Possiblement que les établissements [qui ont refusé de divulguer leurs chiffres] n’ont même pas comptabilisé ces chiffres. C’est un enjeu qui sera réglé quand on aura une politique. Quand il y aura des logos, des témoins actifs, des mesures de prévention et de sensibilisation [sur les campus], je pense qu’il va y avoir plus de dévoilements. On l’a vu dans plein d’autres domaines. »

 En marge d’une consultation à Sherbrooke, il y a quelques semaines, la ministre soutenait qu’une augmentation du nombre de plaintes ne nuirait pas à la réputation des établissements québécois puisque cela se traduirait par un meilleur encadrement. « On n’est pas tout seul là-dedans, il y a des provinces canadiennes et les États-Unis qui le font. Pour moi, c’est mieux d’en parler et d’agir que de faire comme si ça n’existait pas. »

 Reddition de compte

 La ministre, qui vient de terminer une série de consultations sur les violences à caractère sexuel dans les établissements postsecondaires, a annoncé son intention de créer une loi-cadre pour obliger tous les cégeps et universités à se doter d’une politique spécifique pour lutter contre ce fléau qui touche une étudiante sur trois, selon les dernières études.

 Le Devoir révélait, samedi, que sur les 65 établissements postsecondaires au Québec, à peine 3 universités et 5 cégeps disposent d’une telle politique. Des victimes dénonçaient les failles du système. Elles avaient l’impression que les administrateurs se cachent derrière des politiques de façade pour mieux justifier leur inaction.

 Consciente du problème, la ministre Hélène David affirme qu’elle exigera, à travers sa loi-cadre, une « reddition de compte intelligente ».

 Les établissements devront rendre public le nombre de plaintes, mais également des comptes-rendus sur ce qui fonctionne ou non, ce qui peut être amélioré, etc. Au cours des dernières semaines, la ministre a rappelé à maintes reprises qu’elle suivrait les cégeps et les universités de près. Aujourd’hui, elle précise que ce seront les Conseil des collèges et Conseil des universités — des entités qu’elle n’a pas encore créées — qui se verront confier cette tâche. « C’est ma ferme intention que ce genre de mandat soit inclus dans les responsabilités des Conseil des collèges et Conseil des universités. Il y aura des membres de la société civile, des étudiants, des enseignants, des représentants du personnel et je vais leur demander de suivre cela de près […] Il va y avoir une lecture, une analyse de tout ça, alors ça va aider notre travail à l’Assemblée nationale ».

 La confidentialité des sanctions

 Le fléau de la violence à caractère sexuel dans les universités est bien documenté, mais aucune étude ne s’est penchée spécifiquement sur le problème dans les cégeps. Les chercheuses de l’Enquête sexualité, sécurité et interaction en milieu universitaire (ESSIMU) avaient demandé du financement pour une telle étude. Questionnée à ce sujet lundi, la ministre ne dit pas non, mais refuse de se commettre. « Je ne suis pas rendue à vous annoncer cela, affirme-t-elle. On va voir en temps et lieu, mais je vais avoir une grande ouverture à regarder cela. »

 Elle compte également se pencher sur la question de la confidentialité des sanctions, qui cause un grand sentiment d’injustice chez les victimes. « Je souhaite faire un petit groupe de travail qui va cheminer avec le ministère pour reprendre toutes les principales avenues qui ont été déposées [pendant les consultations] et les principaux enjeux, dont cette question évidemment très complexe de la confidentialité des sanctions […] Il y aura, dans ce petit groupe, des juristes pour regarder la différence entre des sanctions disciplinaires et le processus [légal]. On est dans deux paradigmes différents, ce qui n’empêche pas qu’il va falloir regarder la question du suivi auprès des plaignantes. »

 CALACS

 La ministre jongle également avec l’idée de créer des bureaux d’intervention sur chacun des campus, comme le recommandait la semaine dernière le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes du Canada. Elle assure que les centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) seront mis à contribution, mais elle ignore comment cela va se traduire sur le terrain. « Je ne sais pas encore, il y a une question de géographie, de volume. Il y a déjà des universités qui travaillent avec les CALACS, d’une région à l’autre, c’est très différent. On ne pourra pas faire du mur à mur. Mais le gouvernement soutient les CALACS et soutient les collèges et les universités donc, il y a de la place pour beaucoup de collaboration et d’expertise. »

 Critiques

 Les critiques ont été vives lors du lancement des consultations, notamment de la part de victimes qui n’avaient pas été conviées. Mais contre toute attente, des victimes se sont dites agréablement surprises par la tournure des consultations.

 « On a vu le discours de la ministre évoluer depuis l’automne, se réjouit Ariane Lemay, une victime qui a fondé le groupe Québec contre les violences sexuelles. Il y a une certaine ouverture d’impliquer le communautaire et les survivantes et cela me rend très optimiste. »

Paru sur Le Devoir

crédits photo:  Annik MH de Carufel Le Devoir