Natural born féministe

koriass_2

En fait, c’était sa première relation sexuelle, elle avait autour des 17 ans.

Le gars, lui, avait 27 ans.

Elle faisait du cirque au Club Med où elle allait en vacances avec sa famille, le gars c’était son instructeur.

Ils flirtaient un peu pendant leurs sessions, elle le trouvait de son goût, lui aussi. Un soir, il lui a donné rendez-vous dans la salle d’entrainement. Intriguée et excitée à l’idée que le garçon lui demande d’aller le voir en privé, elle est allée le rejoindre. Dès qu’elle est entrée dans le local, l’instructeur a fermé les lumières et a brusquement mis son sexe dans sa bouche. Il a ensuite descendue sa culotte et il l’a pénétrée debout, elle avait mal. Elle ne voulait pas. Elle ne disait rien.

Il a continué.

Elle subissait tout ça en silence, sans collaborer ou montrer du plaisir, elle continuait de subir par peur d’avoir l’air idiote, de le décevoir.

Quand ça s’est terminé et qu’il a ouvert la lumière, il y avait une flaque de sang par terre. Le premier réflexe de l’instructeur était de lui dire de n’en parler à personne, surtout pas à sa blonde. Pas de la réconforter ou de lui demander si ça va. Je suis le seul homme à qui elle l’a dit à ce jour. Elle est dans la mi- trentaine aujourd’hui.

Mon amie se sent encore coupable, presque 20 ans après l’évènement. Elle a encore du mal à se mettre dans la tête que ce n’est pas de sa faute, que c’était la responsabilité du gars d’être sûr qu’elle était à l’aise à 100% avant de prendre son pied. Que c’était bel et bien un viol, parce qu’il y avait un parti non-consentant. Elle se dit encore que c’est de sa faute, qu’elle n’aurait jamais dû y aller, qu’elle n’aurait jamais dû montrer de l’intérêt au départ, qu’elle l’a cherché finalement.

Je sais que je raconte l’histoire de milliers de filles en ce moment qui ont vécu ça et qui en subissent encore les effets à long terme. Et qui croient que c’est de leur faute.

Et je sais que beaucoup de gars lisent ça en se disant que mon amie a raison de dire que c’est de sa faute, parce que c’est pas du viol finalement, elle l’a cherché, qu’est-ce qu’elle faisait là si elle voulait pas baiser?

Je sais, parce que sincèrement, en entendant cette histoire il y a 5 ans, je n’étais pas sûr si c’était vraiment du viol.

D’aussi loin que je me souvenais, une femme qui se fait violer, ça court et ça crie pour sa vie, ça se fait déchirer son linge et ça se fait frapper sur la yeule avant de se faire baiser violemment contre son gré dans un parking sous-terrain après les heures de fermeture. C’est violent, dégueulasse, fait dans le noir, en vitesse, par un inconnu lugubre qui sort de nulle part.

Cette histoire m’a un peu ouvert les yeux sur ce qu’est vraiment le viol. Ça m’a poussé à sortir de la boite de mes certitudes un peu.

J’ai grandi avec Piment Fort, les jokes sur les différences homme-femme de Peter Macleod, les skits sexuels d’albums de gangsta rap, le soft porn de Bleu Nuit, le hardcore porn pas débrouillé du Canal Indigo aux postes 51 à 63 (j’avais une télé dans ma chambre, je me couchais tard), l’idée générale qu’une femme c’est à la maison et qu’un homme ça travaille, et mon oncle Richard qui m’a donné ce bon conseil de relation de couple quand j’avais 7 ans: « quand tu vas choisir ta femme, faut qu’elle soit belle et cochonne. » True story.

Étrangement, au primaire, ma meilleure amie était une fille, Jade. Au secondaire, j’aimais mieux faire rire les filles que les draguer. Ma première job? Je travaillais avec 8 filles, aucun gars. J’étais ami avec mes collègues. Ma première expérience sexuelle à 14 ans était un désastre, j’ai attendu à ma première vraie blonde pour faire l’amour, à 18 ans. C’était sa première fois aussi, c’était bien.

J’ai grandi en étant programmé pour être un esti de salaud. Pour cultiver et engendrer ce comportement de dominance face à la femme, cette position d’autorité face au sexe féminin, qui sont perpétrés dans nos valeurs de société fondamentales, ancrés dans notre mode de vie et même dans notre humour.

Mais je n’ai jamais été comme ça. Parce que je suis gai? Pantoute. Les filles, je voulais les voir nues et dans mon lit comme n’importe qui d’autre. J’aimais tirer des cheveux et taper des fesses comme n’importe quel autre jeune homme sexué qui a regardé beaucoup trop de porno. Parce que je suis trop gêné? Non plus, j’avais un tas d’amies filles, avec qui j’échangeais librement sur plein de sujets, à qui je me confiais et qui me le rendaient.

J’ai réalisé pourquoi je n’ai jamais été comme ça.

Parce que j’ai toujours vu les filles comme mes égales.

Je vois naturellement les femmes et les hommes comme étant égaux depuis mon enfance. Je fais mon coming out: je suis un Natural Born Féministe.

Je vais me faire pitcher des roches en disant que je suis féministe. Parce que le mot « féministe » aujourd’hui, c’est péjoratif. Ce qu’on voit en l’entendant c’est des femmes moches frustrées qui brûlent leur soutien-gorge ou le FEMEN qui brise des vitrines et smash des chars de la F1. Des femmes qui voient tous les hommes comme des violeurs, des salauds, des éjaculateurs chroniques.

Mais le féminisme, et je cite la définition, c’est « un ensemble de mouvements et d’idées politiques, philosophiques et sociales, qui partagent un but commun : définir, établir et atteindre l’égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. »

Donc en vérité, si t’es féministe, c’est juste que tu veux que la femme soit égale à l’homme, dans toutes les sphères sociales.

Je peux alors redire sans aucune honte que je suis féministe.

Et aujourd’hui, j’ai un peu honte d’être un homme. Parce qu’un certain humoriste surnommé Le Gros Cave (ce qu’il n’est pas du tout) a fait une blague un peu maladroite sur les femmes, et que des hommes se sont manifestés, beaucoup, de façon violente et dégradante, accusant des femmes de féminisme extrémiste, d’être des salopes frustrées, parce qu’elle s’opposaient à la blague en parlant de culture du viol. Niant cette dernière, ne cherchant pas du tout à connaitre la définition exacte de cette expression devenue une joke pour plusieurs, croyant que c’est un terme utilisé pour parler de tous les hommes qui osent aborder une femme en les traitant systématiquement de violeurs.

Là est le problème. Cette absence de profondeur. Ne pas avoir envie de se forcer 2 secondes pour comprendre ce que c’est vraiment la culture du viol.

Que c’est réellement de vouloir abolir la culpabilité chez les victimes, existant à cause de l’ultime position de supériorité sexuelle de l’homme et la servitude naturellement imposée à la femme, tous deux présentes dans les certitudes rétrogrades sur les relations homme-femme. La femme se met belle? C’est INÉVITABLEMENT pour plaire à l’homme. Elle danse de façon suggestive? Elle cherche ABSOLUMENT à se faire fourrer.

Cette illusion est créée par la façon dont la nature est faite, le mâle pénètre la femelle, il est par dessus elle, la domine pour mieux l’ensemencer, la vole aux autres mâles pour se reproduire et assurer sa propre survie. On est naturellement dominants, elles sont naturellement asservies.

Mais la différence, c’est qu’on est des humains. Des humains qui ont évolué, et qui ont des nuances EN TABARNAK comparé aux autres animaux au niveau social.

Je peux alors redire sans aucune honte que je suis féministe.

Mon amie qui s’est fait violer aussi est féministe. Elle milite dans ses actions et ses paroles en faveur du féminisme. Mais elle a encore du mal à avouer que le gars qui a profité d’elle était dans le tort. Elle croit encore que c’est de sa faute, qu’elle l’a cherché.

Et mon amie, j’en suis tombé amoureux. J’ai maintenant deux enfants avec elle.

Deux filles.

Texte à lire sur Urbania

Photo: Facebook Koriass