La ministre Lise Thériault au «Devoir» – Prioriser l’accès des femmes au pouvoir

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« Il y a encore des limites à repousser pour les femmes », a dit Lise Thériault, rencontrée lundi matin à son bureau de la circonscription d’Anjou, dans l’est de Montréal. La ministre de 49 ans, élue sans interruption depuis 2002, a accordé une entrevue au Devoir en prévision de la Journée internationale des femmes, le 8 mars.

 La femme de confiance du premier ministre Couillard affirme être en grande forme après son repos de trois mois pour « recharger ses batteries ». Lise Thériault occupe tellement de fonctions, depuis le remaniement ministériel du début de l’année, que son titre comporte 277 caractères (voir encadré) !

 Parité

 Une de ses priorités est de renforcer la présence de femmes à des postes de pouvoir. Jean Charest avait donné l’exemple en nommant autant de femmes que d’hommes au Conseil des ministres, en 2007 et en 2008, souligne-t-elle. Justin Trudeau a aussi tenu promesse et nommé un cabinet paritaire, l’automne dernier. Sans atteindre la parité, le cabinet Couillard compte 39 % de femmes.

 Le gouvernement Charest avait aussi fait adopter une loi forçant la parité au conseil d’administration des sociétés d’État. Sans aller jusqu’à l’imposition de quotas, Lise Thériault croit que les décideurs ont la responsabilité de nommer des femmes à des postes de pouvoir, lorsque c’est possible. Elle a ainsi nommé une femme coroner en chef, Catherine Rudel-Tessier, et a recommandé la nomination de Diane Lemieux — une autre « lionne » de l’est de Montréal, comme elle — à la tête de la Commission de la construction du Québec.

 Malgré les histoires d’agressions non dénoncées qui font les manchettes, Lise Thériault dit être encouragée par la jeune génération. « Les garçons sont moins machos que les gars d’avant l’étaient. Je le vois aussi dans la nouvelle génération de politiciens », dit cette mère d’un garçon de 25 ans.

 Lise Thériault cite en exemple le jeune député Luc Fortin, qui a amené son bébé à la cérémonie d’assermentation à l’Assemblée nationale. Sébastien Proulx, élu récemment dans une élection partielle, va quant à lui chercher ses enfants à la fin de la journée.

 Bref, la conciliation travail-famille devient aussi l’affaire des hommes, remarque la ministre. C’est peut-être pourquoi les femmes prennent davantage de place à la tête des entreprises. Plus de 56 000 dirigeants de PME doivent prendre leur retraite dans les prochaines années, note la ministre de la Condition féminine. « Ces entreprises “et fils” deviendront souvent des “et filles”, parce que les femmes étudient en administration et prennent leur place en affaires. »

 Ces femmes devront-elles se comporter en hommes pour réussir en affaires ou en politique ? « Pas du tout ! », répond Lise Thériault, qui a elle-même la réputation d’une« tough ». Elle avait tenu tête aux puissants syndicats de la construction et mis fin au placement syndical sur les chantiers en 2011.

 « J’ai eu des menaces de me faire casser les deux jambes, raconte-t-elle. Moi, si t’essaies de m’intimider, je fais 6 pieds et 4 ! L’intimidation, ça n’a jamais marché avec moi. Quand je suis entrée en politique, on m’a dit : “toi, Lise, c’est pas pareil, t’es un gars !” J’ai toujours pris ma place. Je n’ai pas attendu qu’on me la donne. Mais ce n’est pas se comporter comme un homme, ça. »

 Lise Thériault revient quand même de loin. Épuisée, l’ancienne ministre de la Sécurité publique avait éclaté en sanglots durant une conférence de presse sur les agressions de femmes autochtones par la police à Val-d’Or, en octobre dernier. Elle a dû se rendre à l’évidence : la « tough» du gouvernement Couillard avait besoin de repos. Cela a été difficile à admettre.

 « À partir du moment où tu comprends qu’il y a un passage obligé à arrêter et charger tes batteries, tu dis O.K., j’arrête et je vais charger mes batteries, parce que plus vite elles seront chargées, plus vite je vais pouvoir revenir », dit-elle.

 Elle refuse de parler de son repos forcé et des raisons de son épuisement.« Honnêtement, ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est que, oui, j’ai dû arrêter, oui, j’ai chargé mes batteries, et je suis de retour en force », répète-t-elle.

 Éducation sexuelle

 À la Condition féminine, elle fait partie de l’équipe d’une demi-douzaine de ministères chargée d’élaborer la politique de lutte contre les violences faites aux femmes. Elle affirme que les cours d’éducation sexuelle à l’école peuvent jouer un rôle contre les fugues d’adolescentes. Il faut expliquer la prostitution, la traite des personnes et le harcèlement.

 Un projet-pilote d’éducation sexuelle au primaire et au secondaire a commencé l’automne dernier dans une quinzaine d’écoles du Québec. Ce projet doit durer deux ans. La ministre Thériault est convaincue que ces cours peuvent sensibiliser les élèves — garçons et filles — aux dangers de tomber entre les mains de souteneurs qui forcent les jeunes femmes à se prostituer. Cette recommandation se retrouvera dans le plan d’action contre les violences sexuelles, qui doit être déposé au cours du printemps.

 « On ne peut pas faire autrement que de prendre ce dossier-là de front et de dire, oui, le gouvernement va prendre ses responsabilités, dit Lise Thériault. Il y a une foule de recommandations qui ont été faites au niveau de l’éducation sexuelle. Il faut qu’on puisse faire de la prévention, qu’on explique à l’école les risques qui sont liés à la traite des personnes. »

 Après une série de fugues d’adolescentes à Laval, la ministre est sensible aux critiques selon lesquelles il faut mettre à contribution le milieu communautaire dans la lutte contre l’exploitation sexuelle. « Le travail avec les groupes communautaires, c’est un incontournable. Ils ont la confiance sur le terrain, il y a beaucoup d’organismes qui sont déjà dans la rue auprès des personnes les plus vulnérables. C’est sûr que ça va faire partie du plan d’action », dit-elle.

Article paru dans Le Devoir

Crédits photo: Jacques Nadeau Le Devoir