Le meurtre d’une femme n’est pas un drame familial

drame

Chère société

Ça fait un moment que nous voulons te parler. Il aura fallu le meurtre de six femmes en l’espace de quelques semaines pour que nous t’écrivions. C’est sans compter les centaines de femmes disparues et assassinées depuis des années, souvent dans l’indifférence. Derrière ces horribles crimes, la question de la violence conjugale est actuellement médiatisée et, nous espérons, prise au sérieux. Nous en parlons, mais nous en parlons mal. 

Chère société, nous pensons qu’il est temps de changer nos pratiques et d’établir un nouveau contrat social avec toi. Nous voulons te proposer de bannir trois expressions de ton langage. Juste trois, pour l’instant, et on pense que tu peux y arriver. Les voici : «crime passionnel», «drame familial» et «il a perdu le contrôle».

Le choix des mots est important lorsqu’on parle d’enjeu social et il faut nommer les choses par ce qu’elles sont :«un meurtre conjugal». Car non, il ne s’agit pas d’un drame et utiliser ce terme rend invisible le geste posé et banalise la violence conjugale. L’utilisation de l’expression «crime passionnel» met de l’avant l’idée que la passion mène au meurtre. Rappelons que ce n’est pas la passion, ni l’amour qui tue, mais bien le meurtrier. Tuer sa conjointe ou ses enfants est un acte de violence inouïe qui se doit d’être nommé et dénoncé.

Rappelons également que lorsque les femmes quittent leur conjoint, elles se trouvent dans une situation de vulnérabilité accrue et il s’agit alors de moments propices à l’augmentation de la violence. Selon l’Institut de la santé publique du Québec, l’homicide à l’endroit de la conjointe se commet le plus souvent dans la période entourant une rupture initiée par la conjointe ou lors d’une escalade de la violence au moment de mettre fin à la relation. Ainsi, l’expression «il a perdu le contrôle», renvoie l’image d’un homme déboussolé et qui n’est pas conscient de ses actes. Pourtant, la violence conjugale ne résulte pas d’une perte de contrôle, mais constitue, au contraire, un moyen choisi pour dominer l’autre personne et affirmer son pouvoir sur elle.

Chère société, nous espérons que tu accepteras notre suggestion de traiter le meurtre conjugal comme un problème de société et non seulement comme un banal fait divers. Nous avons confiance en toi et pensons que tu peux y arriver.

Les signataires sont toutes représentantes régionales et travailleuses pour L’R des centres de femmes du Québec. L’R des centres de femmes du Québec compte près d’une centaine de centres membres situés dans toutes les régions du Québec, tous travaillent à l’atteinte de l’égalité, luttent contre la pauvreté et oeuvrent pour que cessent les violences faites aux femmes, dont la violence conjugale.

  • Marilyn Ouellet, Estrie 
  • Graciela Mateo, Montréal / Laval
  • Nadia Morissette, Côte-Nord
  • Linda Provençal, Mauricie / Centre-du-Québec
  • Stéphanie Vallée, Lanaudière 
  • Caroline Saucier, Abitibi-Témiscamingue
  • Barbara Gilbert, Saguenay/Lac St-Jean
  • Marie Turcotte, Laurentides
  • Isabelle Després, Bas-Saint-Laurent
  • Manon Tremblay, Nord du Québec
  • Éloïse Geneviève Allain Beaudry, Outaouais
  • Christiane Bourgault, Chaudière-Appalaches
  • Solange Turbide, Gaspésie/Îles-de-la-Madeleine
  • JC Chayer, Montérégie
  • Monique Foley, Capitale-Nationale
  • Odile Boisclair, travailleuse à L’R
  • France Bourgault, travailleuse à L’R 
  • Valérie Gilker Létourneau, travailleuse à L’R
  • Isabelle Langlois, travailleuse à L’R 
  • Sylvie StAmand, travailleuse à L’R

Paru dans Le Soleil 

Crédits photo: Photothèque Le Soleil