Faut-il inclure le « crime passionnel » dans le Code criminel?

meutre_passionel_

Le plus souvent, dans le crime passionnel, c’est le mari qui tue par jalousie ou frustration sa femme ou son amoureuse. Ici, c’est la maîtresse qui aurait porté les coups funestes. Le mari aurait été de connivence avec elle.

La scène décrite plus haut est celle de Bhupinderpal Gill, un chauffeur d’autobus d’OC Transpo qui habite dans le quartier Barrhaven. Il est accusé en compagnie de sa présumée maîtresse, Gurpreet Ronald, du meurtre prémédité de son épouse, Jagtar Gill.

La sélection du jury débute, aujourd’hui, au palais de justice d’Ottawa.

Bhupinderpal Gill et Gurpreet Ronald ont entretenu une relation extra-conjugale depuis plusieurs années. La Couronne soutient qu’ils auraient comploté pour tuer l’épouse de M. Gill dans le but de vivre librement leur idylle.

Crime passionnel ou fémicide?

Plusieurs experts ne reconnaissent pas le terme « crime passionnel » et préfèrent de loin utiliser l’expression, plus juste, « homicide conjugal ».

« Les organismes qui travaillent en général pour le droit des femmes ne parlent pas de crime passionnel. Parce que l’idée passionnelle laisse sous-entendre que le geste a été commis sous un coup de tête ou que ça été fait sans être réfléchi », a expliqué la directrice générale de l’Action ontarienne contre la violence faite aux femmes, Maïra Martin.

« Or, il est très rare qu’il s’agisse d’un premier accès de colère ou de jalousie. », indique Denyse Côté de l’Observatoire sur le développement régional et l’analyse différenciée selon les sexes (ORÉGAND). « Toutes les études scientifiques nous montrent que lorsqu’un mari tue sa femme, c’est qu’il y a eu plein d’autres accès de violence avant. »

Dans le cas de Jagtar Gill, on ne sait pas si elle était victime de violence conjugale.

« La violence, c’est de la violence, qu’il y ait relation intime ou non. » – Denyse Côté de l’Observatoire sur le développement régional et l’analyse différenciée selon les sexes (ORÉGAND)

Au Canada, entre 2004 et 2014, il y a eu 967 cas de meurtres commis entre partenaires intimes. Les trois quarts (76 %) impliquaient des couples mariés ou des conjoints de fait.

Ces crimes ont connu une baisse depuis les 20 dernières années, mais il y a une statistique liée à ce genre de crime, qui n’a pas changé : les victimes (77 %) sont presque toujours des femmes.

Un crime à part?

Certains experts aimeraient que le crime passionnel ou l’homicide conjugal soit inscrit comme un crime à part dans le Code criminel parce que c’est presque toujours des femmes qui sont des victimes.

Dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, tel qu’au Guatemala et au Salvador, par exemple, on reconnaît juridiquement le fémicide. Le Canada devrait-il emboîter le pas?

« Il y a beaucoup de pays qui incluent le « fémicide » dans le Code criminel. Est-ce que l’on devrait le faire? Je ne le sais pas », s’interroge Denyse Côté. « Mais c’est clair que changer la loi aurait pour effet de changer le discours sur ces cas-là. »

« Il y a beaucoup de choses qui sont particulières à la situation des femmes qui échappent au Code criminel. Pour l’instant, on est relativement protégé », a-t-elle poursuivi.

« Avoir des tribunaux spécialisés dans la violence faite aux femmes, ce ne serait pas mauvais, mais ce serait tout un changement de mentalité. »

Besoin de formation

Le problème, ce n’est pas le Code criminel, croit-on, mais la façon dont on l’applique les lois. Les professionnels de la justice manquent encore beaucoup de formation pour comprendre la réalité de la violence faite aux femmes, dit-on.

« La première étape ce serait d’améliorer la sensibilisation des professionnels de la justice pour qu’ils comprennent la dynamique de la violence conjugale », explique Mme Martin.

En cour, l’accusé fait trop souvent appel à la « défense de la provocation », croit-on. Cette défense laisse sous-entendre que l’accusé a commis son geste après avoir été provoqué par la victime. Elle permet de réduire la condamnation de meurtre à homicide involontaire.

« Il faut éviter que la Couronne et les juges restent avec ce mythe-là du crime passionnel et cherchent à excuser, en partie, l’accusé en lui trouvant des circonstances atténuantes. Et si c’était mieux compris, le Code criminel serait mieux appliqué », a conclu Mme Martin.

Article tiré de Ici.Radio-canada.ca 

crédits photo: CBC