La commission promet que ce n’est plus qu’une question de quelques mois, puisque ses audiences débuteront en avril. Mais les représentants autochtones s’inquiètent déjà que l’échéancier prévu ne soit pas suffisant.
« Les gens n’ont pas l’air de réaliser le travail à abattre avant que l’organisation soit opérationnelle », explique Michèle Moreau, directrice générale de la Commission d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Depuis le lancement de la commission, mi-août, les cinq commissaires sont entrés en poste, ont décortiqué leur mandat, ont ouvert leurs bureaux et embauché du personnel. L’équipe consulte ces jours-ci des comités-conseils, des grands-mères et des familles, afin de préparer le déroulement des audiences publiques. « On ne veut pas s’imposer dans des communautés. On veut être en quelque sorte invités. On veut vraiment que les gens se sentent en confiance de nous recevoir. Et ça, ça veut dire respecter leurs protocoles à eux, leurs traditions, le plus possible », fait valoir Mme Moreau, en entretien avec Le Devoir. Le gouvernement libéral a également demandé aux commissaires d’étudier quelques dizaines de rapports existants sur la discrimination et la violence faite aux femmes autochtones, pour éviter que leur étude ne reprenne toute cette réflexion à zéro.
« On a un échéancier. Et pour le moment, on est encore dedans », assure Michèle Moreau. En vertu de celui-ci, les audiences devraient commencer en avril et s’échelonner jusqu’au mois de septembre. La commission doit remettre un rapport intermédiaire au gouvernement en novembre 2017. La seconde année de son mandat servira à décortiquer les témoignages et les informations recueillis lors de l’an I, afin d’étudier les causes systémiques et de proposer une série de solutions dans le rapport final attendu le 1er novembre 2018. Les commissaires pourraient mener d’autres consultations en 2018, mais l’essentiel des audiences doit se tenir entre avril et septembre prochain.
L’impatience grandit
La présidente du Conseil des femmes de l’Assemblée des Premières Nations, Denise Stonefish, comprend que la bureaucratie prend du temps. « Mais les familles disent que c’est trop long », rapporte-t-elle. D’autant plus qu’elles n’ont pas de nouvelles de la commission d’enquête depuis son annonce officielle cet été.
Lorsque Le Devoir lui a appris que l’enquête nationale prévoyait cinq mois d’audiences, Mme Stonefish s’est montrée sceptique. « Qu’est-ce qu’ils vont faire ? On parle de faire le tour du pays, de plus de 1000 familles. Je ne crois pas que ce soit assez de temps », a-t-elle déploré, en notant que certaines familles et survivantes raconteront leur histoire et leur traumatisme pour la première fois.
Mme Stonefish se dit déçue, pour les familles qui attendent cette enquête depuis si longtemps, de voir que la commission aura mis huit mois à se préparer, pour au final tenir cinq mois d’audiences publiques et se garder un an pour concocter ses recommandations.
Ghislain Picard affirme que tous comprennent bien que la commission avait du pain sur la planche, en partant « de pratiquement de rien ». « Mais il y a quelque chose de presque incontournable : l’impatience, la volonté des personnes qui sont disposées à raconter leur histoire », note le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. Le calendrier des audiences lui semble « laborieux » et « moins réaliste » si la commission prévoit, en cinq mois, d’aller à la rencontre de familles dans leurs communautés parfois fort éloignées. « Ça ne peut pas être juste une saucette dans une communauté non plus. »
Le chef Picard croit que les commissaires tentent d’atteindre un difficile équilibre : soit prendre le temps d’écouter tous ceux qui veulent partager leur histoire, sans « échelonner ça sur trop longtemps, de peur peut-être d’alourdir un peu la charge émotive des personnes amenées à témoigner ou à raconter leurs expériences ».
Divers témoignages
La commission n’a pas encore déterminé dans quelles provinces ou communautés elle se déplacera. Les commissaires se sépareront la tâche. L’enquête nationale entendra des familles et des victimes, en public ou à huis clos, de même que des institutions — gouvernements, corps policiers, ou organismes de services sociaux et de santé.
« On ne pourra pas entendre tout le monde de vive voix dans une audience dans une communauté, il faut le rappeler, note Michèle Moreau. Donc il va falloir trouver d’autres moyens de recueillir les histoires de tous ceux qui veulent la partager. » Les témoignages pourront prendre la forme d’oeuvres d’art ou d’enregistrements audio ou vidéo.
L’enquête nationale a un mandat de deux ans et un budget de 53,8 millions de dollars.
Paru sur le Devoir
crédits photo : Jacques Nadeau