Comment concilier travail, famille et patrie?

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Est-il plus difficile désormais de concilier la vie politique avec le travail de parlementaire ? Pour l’ancienne députée Elsie Lefebvre, aujourd’hui conseillère municipale, « la société a évolué », mais« le Parlement fonctionne encore comme dans les années 1950 ».

« C’est en partie vrai seulement », rétorque Pauline Marois, jointe à l’étranger. L’ex-première ministre estime que beaucoup a été fait pour rendre la vie plus simple aux députés. « Il y a plus de semaines de relâche, moins de comités qui se terminent aux petites heures du matin. Mais il faut savoir qu’il a toujours une part d’imprévisible en politique et qu’il y en aura toujours. »Et même quand il n’y a rien, « comment expliquer à quelqu’un qu’on n’ira pas à son activité parce qu’on s’occupe des enfants ? C’est en général très mal reçu. On peut bien prendre un soir l’engagement de récupérer les enfants, mais il arrive beaucoup d’imprévus en politique. Le conjoint doit le comprendre ».

Elsie Lefebvre observe que les femmes de 18 à 40 ans sont absentes des lieux décisionnels. « C’est parce que la conciliation n’est pas tellement possible. Il n’y a pas de ministre de moins de 40 ans à Québec. À Ottawa, on pense à Mélanie Joly comme exception. Je pense que c’est parce que la conciliation entre la famille et le travail de député n’est pas adaptée. Le modèle ancien, les gens ne souhaitent pas forcément le reproduire. Beaucoup d’hommes font ce choix aussi maintenant. »

Qu’en pense François Legault, lui qui a connu à la fois la vie trépidante de l’homme d’affaires et de chef de parti ? « Ce ne sera pas possible pour M. Legault de vous répondre, puisqu’il a justement pris quelques jours de repos avec sa famille à l’occasion de la relâche parlementaire », explique son attachée de presse.

En 2005, François Legault était pressenti comme successeur à Bernard Landry. Il ne le fit pas pour être à même de consacrer plus de temps à sa famille.

Au micro de Paul Arcand, en janvier, Isabelle Brais, sa conjointe, rappelait que son couple partage une passion dévorante pour la politique. Elle affirmait néanmoins que la place d’une femme en politique, même aux côtés de son mari, reste bien difficile. « Je pense qu’il est encore difficile pour une femme de trouver sa place en politique. » Et elle précisait qu’« à partir du moment où les femmes ont la responsabilité de leurs enfants, et excusez-moi, mais ce sont encore les femmes qui ont cette responsabilité, alors c’est difficile… À moins d’avoir une assistante. »

Pour fortunés seulement

Voilà justement une partie du problème, plaide Elsie Lefebvre : les hautes fonctions ne sont plus dès lors accessibles qu’à des familles fortunées capables de financer leur vie politique en se payant de l’aide à la maison. Elle cite les cas de Pauline Marois, Justin Trudeau et Philippe Couillard. « Est-ce que de telles carrières politiques peuvent tenir sans une intendance qui pallie l’absence des parents ? Ce sont des gens qui viennent de familles aisées. Ils ont des standards familiaux hors de la moyenne. » L’exemple de Pierre Karl Péladeau « est grandiose », dit-elle. « Mais beaucoup d’élus ont vécu les mêmes dilemmes, à une échelle plus terre à terre. Ce n’est pas avec un salaire de député que tu peux faire cette vie-là. »

Au 24 Sussex, la résidence du premier ministre du Canada, le rôle des gouvernantes est majeur. Les enfants du couple Justin Trudeau-Sophie Grégoire comptent sur au moins trois personnes pour veiller directement sur eux, sans compter le personnel de soutien, étant entendu que le premier ministre ne fait pas le ménage ou le lavage.

Pauline Marois estime que lorsqu’on devient ministre, les revenus plus importants permettent une meilleure organisation. De ses enfants, elle dit : « Mon mari s’en est occupé beaucoup plus que moi, même s’il avait lui aussi une vie très active. Il allait aux rendez-vous chez le médecin, pour les bulletins, tout ça. Et j’ai beaucoup été aidée, c’est vrai, notamment par mon entourage. On me réservait des plages de temps à l’agenda pour la famille. »

Ce qui compte d’abord est l’entente entre les conjoints, insiste-t-elle. « Il est vrai que ça prend des moyens supplémentaires. Tout à fait. On ne peut pas dire que Julie et Pierre Karl n’en avaient pas. Mais ça ne remplace pas pour autant les compromis nécessaires dans le couple. Je ne voudrais pas décourager personne, les femmes surtout, d’aller en politique. J’ai tout fait dans ma carrière pour les encourager. »

Est-ce suffisant pour permettre à tous d’accéder aux hautes sphères du pouvoir ? Pour Elsie Lefebvre, « quand on est jeune député et sans enfant, ça va ». « J’ai été élue à 25 ans. J’avais juste des idéaux à porter. Ensuite, avec des enfants, je me suis heurtée à l’idée de retourner sur la scène nationale. Ce n’était même pas envisageable. La vie de député, lorsqu’on n’habite pas à Québec avec les enfants, ce n’est pas possible. »Elle plaide pour revoir le mode de fonctionnement du monde politique. « Sinon, on va se retrouver avec des élus qui sont désincarnés de la réalité, qui vivent loin de ce que tout le monde vit. »

Article tiré du Devoir

crédits photo: Jacques Nadeau