Les changements dans les rôles parentaux et les discours sur la coparentalité, de même que sur l’importance des deux parents dans le développement des enfants font que, dans un contexte post-séparation, la majorité des enfants continuent d’avoir des contacts fréquents avec leurs deux parents.
Cela est aussi vrai pour les enfants qui vivent dans un contexte de violence conjugale. Dans ce contexte, le recours aux programmes de visites supervisées est parfois jugé nécessaire par les intervenants sociaux ou par les tribunaux, pour assurer la sécurité et le bien-être des enfants lors des contacts avec leur père.
Considérant la nature des situations dans lesquelles les mesures de visites supervisées sont mises en place, le gouvernement du Québec a publié un guide pour les ressources de supervision des droits d’accès, qui expose un certain nombre de «normes incontournables» relatives à l’organisation des visites supervisées. Pourtant, il est loin d’être certain que les pratiques actuelles en matière de visites supervisées permettent d’assurer la sécurité des enfants et des femmes victimes de violence conjugale.
D’ailleurs, une courte capsule vidéo produite par la Table de concertation en violence conjugale de Beauce-Etchemin dans le cadre des 12 jours d’action contre les violences faites aux femmes révèle des problèmes persistants dans les pratiques en matière de visites supervisées:
Le principe de «neutralité»
Dans cette capsule, qui fait spécifiquement référence aux visites supervisées dans un contexte de violence conjugale, la personne responsable du service de droits d’accès supervisés de la maison de la famille de cette région explique qu’il doit «mettre de côté les comportements violents» dont il est témoin et «faire preuve de la plus grande neutralité possible entre les parents». Ces propos sont extrêmement préoccupants.
Le guide produit par le gouvernement du Québec présente effectivement l’impartialité comme l’un des principes sur lesquels doit s’appuyer l’organisation des visites supervisées, dans la mesure où le service doit avoir «une approche orientée vers l’ensemble des membres de la famille» et «ne dois pas être orienté de manière à favoriser un parent au détriment de l’autre».
« Il est particulièrement inquiétant de constater que des intervenants responsables des visites supervisées «mettent de côté» les comportements violents dont ils sont témoins au nom de la «neutralité» entre les parents. »
Il s’agit d’une interprétation complètement erronée du principe d’impartialité mentionné ci-dessus. En fait, le rôle de ces intervenants est justement d’assurer que de tels comportements ne se produisent pas et, si cela ne s’avère pas possible, les contacts devraient être suspendus pour assurer la sécurité des enfants et de leur mère.
Connaissances sur la violence conjugale
La capsule vidéo démontre aussi clairement une confusion entre la violence conjugale et les conflits conjugaux ou les conflits post-séparation. Cette confusion est fréquemment observée chez les intervenants de différents secteurs, mais est néanmoins problématique dans la mesure où les situations de violence conjugale présentent des enjeux particuliers et exigent des mesures particulières pour assurer la sécurité des femmes et des enfants.
Cela soulève, de manière plus générale, la question de la formation des intervenants responsables des visites supervisées. À cet égard, le guide produit par le gouvernement du Québec stipule que les personnes affectées aux visites supervisées doivent posséder un diplôme dans une discipline pertinente ou être en voie de formation pour obtenir un tel diplôme, et que les organismes doivent assurer une formation sur la supervision des droits d’accès à ces personnes «afin de leur permettre d’acquérir les compétences essentielles pour offrir un service de qualité et sécuritaire». Ces compétences font notamment référence aux différents contextes d’intervention, incluant la violence conjugale.
Pourtant, j’assistais récemment à une présentation par une personne responsable d’un programme de visites supervisée dans une autre région, et elle expliquait que les personnes qui supervisent les visites n’ont pas de formation spécifique sur la violence conjugale. Selon cette intervenante, une telle formation n’est pas nécessaire, puisque ces personnes ne font pas une analyse de la situation. Ils ne font qu’observer ce qui se passe lors des contacts et, au besoin, rapportent ces «faits» à l’intervenant responsable du dossier.
« Il faut absolument se demander ce que l’orientation «famille» et la «neutralité» implique lorsqu’on travaille avec des hommes qui ont des comportements violents et avec des femmes et des enfants qui ont été victimes et qui risquent d’être à nouveau victimes de violence. »
Dans cette même perspective, elle soulignait que ces personnes ne savent pas nécessairement pourquoi des visites supervisées ont été mises en place. À cet égard, notons que des «faits» peuvent avoir différentes significations dans différents contextes. Par exemple, une caresse, qui est généralement une marque d’affection, est inappropriée dans un contexte où le père a été accusé d’agression sexuelle.
Dans le même sens, le fait de poser des questions à l’enfant sur les activités réalisées au cours de la semaine peut être l’expression d’un intérêt pour l’enfant, mais peut aussi être problématique dans un contexte de harcèlement et de violence post-séparation. Les personnes responsables des visites supervisées doivent donc avoir les connaissances et les informations nécessaires pour faire ces distinctions et pour savoir à quel moment il est nécessaire de suspendre les contacts.
Un meilleur encadrement des visites supervisées
Ces problèmes illustrés dans cette capsule ne sont sans doute pas spécifiques à cet organisme ou à cette région. Ils mettent en évidence la nécessité d’évaluer les pratiques actuelles en matière de visites supervisées, et de mettre en place des politiques pour encadrer ces pratiques et pour assurer que les personnes responsables des contacts ont une formation appropriée sur la violence à l’endroit des femmes et des enfants.
Enfin, il faut absolument se demander ce que l’orientation «famille» et la «neutralité» implique lorsqu’on travaille avec des hommes qui ont des comportements violents et avec des femmes et des enfants qui ont été victimes et qui risquent d’être à nouveau victimes de violence. Ces principes ne devraient certainement pas justifier le fait que des intervenants se ferment les yeux sur la violence pour maintenir à tout prix les contacts père-enfant.
Papier de Simon Lapierre, paru dans le Huffington Post