Violences sexuelles – «C’est ensemble que nous avancerons»

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Elle a pris la parole spontanément lors d’une vigie en soutien aux victimes d’agressions sexuelles organisée à l’Université Laval, mercredi dernier. Le reste de l’histoire d’Alice Paquet s’est déroulé dans la sphère publique : dans une lettre publiée ce lundi dans Le Devoir, la jeune femme de 21 ans dénonce les incursions dans sa vie privée, car elles occultent à son avis les enjeux les plus importants de la discussion sur les violences sexuelles.

Avec son texte, intitulé « Elle a pas l’air d’une fille qui s’est fait violer », Alice Paquet espère mettre fin à son passage médiatique, lancé après qu’elle a formulé des allégations d’agression sexuelle à l’endroit du député Gerry Sklavounos.

« J’ai en effet perdu le contrôle sur l’histoire, les faits et leur interprétation : alors que j’avais été présentée d’abord comme une fille confuse, puis comme une ex-prostituée, tout était mis en oeuvre pour éroder la force et la crédibilité de ma parole, écrit-elle. Ce qui me choque, c’est qu’on ait fouillé dans ma vie privée pour y repérer des détails qui n’ont servi qu’à détourner l’attention publique de l’agression dont j’ai été victime et à camoufler l’enjeu principal — en l’occurrence la banalisation et la minimisation systématiques des violences sexuelles à l’endroit des femmes. »

Dimanche, elle a remis sa lettre au Devoir en précisant que tout ce qu’elle souhaitait partager avec le public s’y trouvait. Elle n’a pas souhaité accorder d’entrevue.

Tester la crédibilité

Au cours des derniers jours, dans les médias traditionnels comme sociaux, la crédibilité de la jeune femme a été testée. Pourquoi est-elle montée dans la chambre du député, écarté du caucus libéral au lendemain de la dénonciation ? Lui a-t-elle vraiment dit non ? A-t-elle été blessée lors de l’agression présumée ? Comme autant d’enquêteurs, des Québécois ont voulu décortiquer les événements présumés pour tenter de leur donner un sens.

« Le problème, ou la difficulté que posent les situations d’agressions sexuelles, c’est qu’on veut toujours essayer d’expliquer le comportement de la victime. C’est comme si le comportement de la victime allait nous donner de l’information sur le crime qui a été commis », constate la fondatrice et directrice du Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal, Deborah Trent. Celle qui oeuvre dans le domaine depuis une trentaine d’années n’a pas voulu commenter le cas d’Alice Paquet. Mais elle a partagé des observations qu’elle a cumulées au fil des années.

« Comme société, on a toujours eu la perspective voulant qu’une personne qui raconte une agression sexuelle soit une personne qui ment, ajoute-t-elle. C’est beaucoup plus facile, ou acceptable, d’avancer que ce que dit la personne qui dénonce est faux. […] C’est dur de rester devant le fait que ça s’est passé parce que quelqu’un a décidé qu’il voulait le faire. »

Alice Paquet avance une réponse aux questions soulevées par le public dans sa lettre. « Pourquoi être remontée à sa chambre ? Pourquoi n’ai-je pas dénoncé immédiatement après les événements ? […] Parce qu’on m’a fait comprendre qu’une femme qui se fait agresser l’aurait mérité. Parce que j’ai figé, que j’ai eu peur, que j’ai cédé », écrit-elle.

Du « voyeurisme déplacé »

Dans son texte, la jeune femme s’en prend aussi au blogueur P. A. Beaulieu, qui a posé des questions sur les allégeances politiques de la jeune femme, abordé l’impact présumé de ses problèmes psychologiques sur sa rencontre avec le député Sklavounos et évoqué la possibilité qu’elle soit (ou ait été) une travailleuse du sexe. « On y apprend notamment que j’ai déjà été escorte, note Alice Paquet dans sa lettre. Comme si une telle information avait une incidence sur le bris de consentement dont j’ai été victime, à l’instar de tant de femmes. »

Au blogueur, comme au média qui a repris ses allégations, elle répond en évoquant du « voyeurisme déplacé », qui constitue à son avis « le prolongement d’une longue tradition de dénigrement des femmes qui osent parler de sujets tels que le viol ou le harcèlement, en public comme en privé ».

Selon Deborah Trent, les risques de dérives sont grands lorsqu’on expose le passé d’une victime. « Ça n’a rien à voir [avec l’agression], dit-elle. On cherche à comprendre quelque chose dans le comportement de la victime qu’on ne ferait pas, pour ensuite se dire : moi, je ne fais pas ça, donc ça ne m’arriverait pas. Donc moi, je fais toutes les bonnes choses pour me protéger. »

Au début de sa carrière, elle entendait souvent ce genre de réflexion au sujet des victimes agressées après avoir fait de l’auto-stop. « Les gens disaient : moi, je ne fais pas de pouce, alors je suis correct », illustre-t-elle.

Des représentations déformées

L’agression sexuelle n’a peut-être pas de définition universelle, incontestée. D’aucuns l’ont souligné dans l’espace public : ils ont offert des visions différentes du consentement ou laissé entendre que les agressions sexuelles étaient hiérarchisées selon leur gravité.

À ce titre, les médias — source principale d’information sur la criminalité et les agressions sexuelles pour la majorité de la population — peuvent favoriser une perception déformée des agressions sexuelles et véhiculer des mythes à leur sujet, avertit l’Institut national de santé publique du Québec. Dans une étude menée en 2010-2011, l’institut a notamment découvert que les médias sous-représentent les agressions commises à l’intérieur des familles et surreprésentent les agressions sexuelles violentes.

Mais les médias peuvent aussi aider les victimes, assure Mme Trent. « Quand il y a une histoire médiatisée, ça génère toujours des appels sur la ligne d’écoute provinciale, observe-t-elle. Il y a des gens qui demandent de l’aide, des gens qui veulent comprendre, qui disent : je pense que j’ai vécu quelque chose. Ils veulent confirmer[des doutes]. » 

De son passage médiatique, Alice Paquet espère que les femmes garderont un message d’unité. « Nous sommes fortes, nous sommes indestructibles, et c’est ensemble que nous avancerons », lance-t-elle dans sa lettre ouverte.

La jeune femme doit rencontrer ce lundi les enquêteurs du Service de police de la Ville de Québec. Elle se promet désormais de faire profil bas dans les médias.

Article paru dans Le Devoir

crédits photo: Jacques Nadeau