Cinq femmes masquées ont pris part à une conférence de presse chargée d’émotion, hier à Montréal, afin de réclamer une amnistie générale pour les 200 000 à 500 000 sans-papiers qui font rouler l’économie du pays sans en retirer tous les bénéfices.
«Nous travaillons ici et contribuons à la richesse du Canada. Nous nettoyons vos maisons, servons dans vos restaurants, travaillons à la chaîne, nous produisons la nourriture que vous mangez. Nous payons des taxes. Pourtant, nous demeurons exclues de l’ensemble des biens sociaux: l’éducation, les soins de santé, les allocations pour enfants, les garderies, le chômage», écrit le Collectif des femmes sans statuts de Montréal dans une lettre envoyée au premier ministre Trudeau le 27 novembre, et jusqu’ici restée sans réponse.
«J’ai tout laissé tomber [dans mon pays d’origine] pour un rêve que je n’arrive pas à vivre», a raconté une femme qui tente depuis 10 ans d’obtenir ses documents officiels. Dix ans à remplir des formulaires, à être exploitée par ses patrons, à vivre dans l’angoisse de tomber malade, d’être démasquée par un voisin, d’être arrêtée et expulsée. «Je m’endors avec la peur et je me réveille avec la peur.»
Une autre femme a raconté avoir dû payer près de 7000 $ pour faire soigner la fracture que s’était infligée son fils de 11 ans. Heureusement pour elle, le chirurgien et l’anesthésiste qui se sont partagé la somme ne l’ont pas dénoncée. «Plus tard, mon fils s’est blessé en jouant au soccer. Il pleurait. Pas parce que ça lui faisait mal, mais parce qu’on n’avait pas d’argent ni de carte d’assurance maladie pour aller à l’hôpital.»
«Être traitées comme tout le monde»
À bout de souffle, ces femmes réclament «le droit d’être traitées comme tout le monde». Et d’enfin pouvoir sortir de la clandestinité. «Monsieur Trudeau a été élu dans une circonscription de Montréal où résident des milliers de sans statuts. Mais officiellement, nous n’existons pas», écrivent-elles dans leur lettre.
Entre 1964 et 2004, le Canada a lancé huit programmes de régularisation des sans-papiers. En 2009, le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration a reconnu que ces personnes «contribuent à la société en répondant à un besoin de main-d’oeuvre qui ne peut être comblé à l’interne».
Le Comité s’est toutefois abstenu de recommander quoi que ce soit pour régler le problème. «L’exécution pure et dure des mesures peut être brutale; la régularisation générale peut ouvrir les vannes et à peu près n’importe quelle approche visant à régler le problème semble injuste à quelqu’un», lit-on dans le rapport.
Pour les femmes sans-papiers, cependant, le statu quo a assez duré. «Nous vivons ici, nous resterons ici. Ceci est notre maison et celle de nos enfants. Nous voulons vivre dans la dignité, la paix et la stabilité, nous voulons que la peur qui sans cesse nous habite se dissipe.»
Article paru dans La Presse
Crédits photo: André Pichette