Sans-abris: une réplique au dénombrement

1154940-reseau-aide-personnes-seules-itinerantes

Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) a dévoilé jeudi un portrait de l’itinérance dans plusieurs quartiers de la métropole, qui se veut, en quelque sorte, la réplique terrain du groupe au dénombrement de l’an dernier.

« Ce chiffre de 3016 personnes qui est ressorti, c’était une photo d’un soir. Plusieurs se sont réjouis d’avoir un chiffre solide. Nous, on aurait souhaité se réjouir, mais la somme d’information qu’on accumule depuis 40 ans nous donne à penser qu’il y a beaucoup plus de monde », dit France Labelle, directrice du Refuge de Montréal et vice-présidente du RAPSIM. Le document rendu public jeudi, intitulé Au-delà des chiffres, se veut un portrait « étoffé » de l’itinérance dans plusieurs quartiers de Montréal.

Car il est évident à la lecture du recueil de textes que les itinérants ne se retrouvent pas qu’au centre-ville. Dans le sud-ouest, « les banques alimentaires reçoivent parfois des personnes qui n’ont pas de toit et les services de la ville voient des personnes se laver dans les salles de bain des arénas. » Dans l’Ouest-de-l’Île, certains jeunes campent dans le parc du Cap-Saint-Jacques ou résident à sept dans un trois et demi. « Tout ce que j’ai vu dans Villeray et dans Rosemont, on n’aurait jamais pu le voir le soir du dénombrement », observe Richard Bousquet, qui a arpenté ces quartiers pour rédiger une partie du document du RAPSIM.

Dans Côte-des-Neiges, les patrouilleurs du poste de quartier de Côte-des-Neiges ont recensé une quarantaine de personnes en situation d’itinérance, souligne Bernard Besancenot, agent de liaison à l’organisme Multi-Caf, qui oeuvre dans Côte-des-Neiges. Les groupes de femmes du quartier reçoivent de plus en plus d’itinérantes. Les urgences du Centre hospitalier de St Mary reçoivent plusieurs personnes qui viennent y passer la nuit.

« Or, combien de sans-abris ont été dénombrés chez nous l’an dernier ? Seulement six ! » S’exclame M. Besancenot. Pour lui, les chiffres du dénombrement ont fait du tort aux organismes de terrain, qui peinent désormais à convaincre les décideurs politiques de leur allouer des fonds pour lutter contre l’itinérance. « Les gens nous disent, bon, il faut relativiser, on parle de six personnes. Mais nous, on sait qu’il y en a bien plus que six ! Plusieurs sans-abris dans notre quartier ne se définissent pas comme des itinérants. »

Le chercheur Eric Latimer, codirecteur du dénombrement, se défend d’avoir sous-estimé le nombre de sans-abris. « On n’a pas la prétention d’avoir réussi à compter absolument tout le monde. Mais ce débat de chiffres est stérile : j’ai du mal à comprendre la détermination du RAPSIM à vouloir maximiser le nombre de sans-abris. » Pour lui, le portrait réalisé par le RAPSIM est un excellent complément aux chiffres du dénombrement.

Pour Pierre Gaudreau, président du RAPSIM, il faut multiplier par cinq le chiffre de 3016 pour avoir une idée du phénomène de l’itinérance « cachée » à Montréal. « Mais on ne veut pas partir une guerre de chiffres », dit-il. « Le dénombrement n’a pas eu nécessairement un effet négatif. Il sera négatif si on ne se base que sur ce chiffre pour guider les interventions. »

Réaliste, le chiffre de 15 000 sans-abris ? Ça dépend de quoi on parle, rétorque Eric Latimer. « Une personne qui vit un épisode d’itinérance de deux jours, capable de s’en sortir par elle-même, ne peut se comparer à une personne qui dort dans la rue de façon chronique depuis un an. »

Article paru dans La Presse

crédits photo: André Pichette