Prostitution juvénile: les gangs de rue s’activent à Longueuil

prostitution

«Il y a un recrutement intensif qui se déroule dans la ville actuellement», confirme le directeur de la maison Kekpart, à Longueuil, Richard Desjardins.

Ces jours-ci, le téléphone de l’organisme qui vient en aide aux jeunes vulnérables ne dérougit pas. Les appels proviennent de parents inquiets d’un changement de comportement chez leurs enfants ou encore des écoles aux prises avec des jeunes à problèmes.

«Le feu est pogné», illustre l’éducateur spécialisé d’expérience. «Les écoles secondaires procèdent aux expulsions des élèves avec des problèmes de comportement à cette période-ci de l’année, du début du mois de mars jusqu’au 1er avril. Ça fait beaucoup de jeunes qui n’ont rien à faire de leurs journées. Les gangs le savent et en profitent.»

On parle de 125 adolescentes recrutées à des fins de prostitution en moyenne par an ces dernières années, alors qu’il était question d’environ 90 jeunes filles vers 2010, rapporte le directeur de la maison Kekpart.

Le Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) confirme qu’il y a «environ 125 adolescentes» recrutées en moyenne chaque année, mais ne peut se prononcer sur une tendance à long terme, n’ayant pas toutes les statistiques en main, nous a dit sa capitaine, Nancy Colagiacomo.

Des gangs émergents

La prostitution juvénile est l’une des sources de revenus des gangs de rue. Et cette activité lucrative se déroule souvent à l’abri des regards, souligne M. Desjardins, de la maison Kekpart. Des membres louent des logements pour faire travailler les jeunes filles sans attirer l’attention des autorités, décrit-il.

Le recrutement des jeunes filles se déroule à proximité de certaines écoles secondaires, mais aussi à la station de métro Longueuil-Université-de-Sherbrooke, dans des centres commerciaux et au terminus d’autobus Panama, selon nos informations.

Les jeunes qui gravitent autour des gangs de rue sont de plus en plus nombreux dans l’agglomération de Longueuil. Il y a 10 ans, la police de Longueuil estimait qu’il y avait huit gangs comptant environ 80 membres actifs sur son territoire. Aujourd’hui, on parle de 11 groupes – dont la moitié sont qualifiés d’«émergents». Quelque 300 personnes gravitent autour de ces groupes, selon des statistiques datant de mai 2016 fournies par le SPAL.

Le SPAL émet toutefois un bémol sur la croissance du phénomène. «On constate qu’il y a plus de groupes, mais pas plus de gangs majeurs. Des groupes émergents, ça peut être trois ou quatre jeunes qui ne sont pas organisés», nuance la capitaine Colagiacomo.

Intervenir en classe

Pour contrer la campagne de recrutement des gangs, la maison Kekpart lance ces jours-ci un film-choc réalisé avec la collaboration d’acteurs professionnels connus des jeunes (Frédérique Dufort et Pascal Darilus). Le court métrage raconte la vie d’une adolescente «normale», Chloé, qui tombera sous le charme d’un jeune proxénète manipulateur aux allures respectables. (voir le film en cliquant ici

Ce film servira de nouvel outil de prévention aux éducatrices de la maison de jeunes au cours de leur tournée dans les écoles de la Montérégie. «Après avoir fait une tournée des classes, on reste un mois dans chaque école. Les jeunes ont ainsi le temps d’aller chercher de l’aide auprès de nos intervenantes», explique M. Desjardins.

En 2015, ces ateliers d’éducation dans les écoles – le projet Sans P ni E (pour Sans proxénète ni escorte) – avaient été abandonnés après que l’organisme eut vu son financement provenant du gouvernement provincial amputé. Or, le projet a été ressuscité dans la foulée de la crise des jeunes fugueuses hébergées dans les centres jeunesse l’hiver dernier. À la suite de cette crise, le gouvernement du Québec a accordé 625 000 $ sur cinq ans pour lutter contre l’exploitation sexuelle dans l’agglomération de Longueuil.

Depuis 2013, 52 dossiers de proxénétisme ont été traités par le SPAL. Dans plus de 95% des cas, il y avait au moins une victime mineure. Pour la seule année 2015, 191 dossiers liés à des fugues de jeunes filles susceptibles d’être recrutées pour l’exploitation sexuelle ont été traités, toujours selon la maison Kekpart qui travaille avec le SPAL pour lutter contre le fléau.

Paru dans La Presse