Marche des femmes : de #MoiAussi à #OnAgit

Dans un local tout ce qui a de plus banal et prêté par la CSN, quatre jeunes femmes sont réunies autour d’une immense table de conférence.

Le débat n’est pas trop animé. Elles discutent avec prudence, conscientes de notre présence, mais surtout, elles semblent soucieuses de maintenir l’harmonie entre les groupes disparates qu’elles représentent.

Car elles viennent du Centre des femmes de l’UQAM, de la Fédération des femmes du Québec, de l’organisme de défense des travailleuses du sexe Stella. Et si les représentantes de Blacklives Matter et du Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel sont absentes, leurs points de vue ne peuvent pas être ignorés. Ici, tout le monde le sait.

Organiser une seconde Marche des femmes semble aussi complexe que les enjeux au cœur du débat. L’après #MoiAussi n’est pas simple.

« C’est magnifique que les gens se soient mobilisés, qu’il y ait eu une prise de conscience. Mais là, qu’est-ce qui se passe? », demande Dahlia Jiwan, responsable de l’organisation de la Marche des femmes.

L’étudiante en sociologie travaille au Centre des femmes de l’UQAM. Les ravages des violences sexuelles, elle connaît. Dahlia Jiwan était dans la rue le 21 janvier2017 pour dénoncer la présidence de Donald Trump, elle croit que cette fois-ci, l’atmosphère sera bien différente. L’enjeu touche directement la vie de trop nombreuses femmes d’ici.

« C’est de faire un appel à la population pour un appel à l’action », explique Dahlia Jiwan.

Passer de la culture du viol à celle du consentement

Selon la présidente de la Fédération des femmes du Québec, l’après #MoiAussi exige des transformations importantes dans la société.

« On doit passer d’une culture du viol, à une culture du consentement. »- Gabrielle Bouchard, présidente de la Fédération des femmes du Québec

Le mouvement #MoiAussi était un mouvement de dénonciation. De multiples gestes faits par autant de victimes individuelles. Chacune a raconté son histoire, explique Gabrielle Bouchard, maintenant il faut « une action collective pour que LES histoires s’arrêtent ».

Le message de la Marche se veut donc très simple : #OnAgit, #ÇaPassePu.

C’est un appel pour que chacun, dans la société, ose dire que ça ne passe plus quand il est témoin de gestes ou de propos déplacés, de harcèlement, que ce soit au travail, dans la rue, ou en famille.

« Si, collectivement, on se dit que c’est des choses qu’on accepte plus, je crois qu’on va permettre aux hommes et aux femmes de devenir de meilleures personnes, et de ne plus passer aux prochaines générations le fait que de harceler les femmes, c’est acceptable », soutient Gabrielle Bouchard.

« Trop blanc, trop bourgeois »

Les dénonciations de l’automne ont certes offert une plateforme essentielle pour enfin lever le voile sur la violence et le harcèlement sexuels auxquels les femmes sont encore victimes. La réalité demeure que #MoiAussi a laissé de côté de nombreuses femmes.

« Il est très très blanc, très bourgeois, et ça c’est une partie du problème », explique la militante de Blacklives Matter Marlihan Lopez.

Pour la militante féministe, les dénonciations largement médiatisées de l’automne dernier ont réduit le débat sur la violence contre les femmes au sexisme, tout particulièrement dans les milieux de travail.

« On entend parler de la violence sexuelle de la perspective de la femme blanche. Donc, on entend beaucoup parler du sexisme, on entend beaucoup parler du patriarcat, mais on n’entend pas parler des autres types de discrimination qui s’ajoutent et font en sorte que certaines autres populations sont vulnérables. » – Marlihan Lopez, Blacklives Matter

D’ailleurs, de nombreuses militantes reprochent à #MoiAussi d’avoir évacué les véritables origines du mouvement qui a vu le jour il y a 10 ans pour venir en aide aux victimes afro-américaines d’agressions sexuelles.

Déjà en novembre dernier, l’instigatrice de #MeToo, Tarana Burke, se désolait que « trop de femmes noires et brunes, pour qui cette initiative a vu le jour, ne parviennent pas à s’y identifier dans sa forme actuelle ».

Marlihan Lopez plaide que le problème dépasse la communauté noire, mais vaut tout autant pour l’ensemble des femmes marginalisées qu’elles soient autochtones, immigrantes, ou encore souffrant de handicap.

« On parle souvent de courage, d’empowerment, mais ce n’est pas par manque de courage que plusieurs gardent le silence. Il y a des contextes qui font en sorte que beaucoup de femmes ne peuvent pas embarquer. » – Marlihan Lopez

Cette critique, les organisatrices de la Marche des femmes l’entendent haut et fort.

Dahlia Jiwan juge que pour préserver sa crédibilité, il est essentiel que le mouvement #MoiAussi se montre beaucoup plus inclusif, d’où la place qui sera faite samedi aux voix issues des groupes comme Blacklives Matter et Stella par exemple

« Si on souhaite vraiment l’égalité, ça ne peut pas être l’égalité entre hommes et femmes blancs. »

Le vague anti-#MoiAussi

Si Catherine Deneuve a fait les manchettes en défendant « le droit d’importuner »des hommes, les critiques à l’égard du mouvement #MoiAussi vont bien au-delà des phrases-chocs et des caricatures masculinistes.

On n’a qu’à penser à la sortie de l’écrivaine Margaret Atwood qui, dans une lettre ouverte au Globe and Mail, s’est inquiétée que le mouvement aille trop loin et cède aux dangers de la « justice populaire ».

La présidente de la FFQ ne s’inquiète pas trop de ce ressac. Elle fait valoir que les grands mouvements transformants dans la société sont souvent accompagnés de telles levées de boucliers. Ce qui ne veut pas dire qu’elle les évacue totalement.

« Je ne vois pas de dérive. Je vois un appel à faire mieux et cet appel-là est inconfortable et je nous invite collectivement à nous asseoir dans cet inconfort-là et l’observer pour ensuite passer à des gestes meilleurs et à une nouvelle aventure. » – Gabrielle Bouchard

Conscientes de cet inconfort, les organisatrices de la Marche des femmes tempèrent leurs attentes en vue de samedi. Elles doutent de réussir à attirer autant de femmes à l’esplanade de la Place des Arts que l’an dernier.

C’est là un signe de l’ampleur du travail qui reste à faire pour unir la société dans la lutte pour l’égalité. Signe peut-être qu’il était plus facile de dénoncer le machisme de Donald Trump en 2017, que d’offrir une réponse cohérente au machisme qui sévit dans la société et de la violence qui en découle.

Sources : ici.radio-canada