L’itinérance cachée et ses dangers

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« Je me déplace à peu près neuf fois par mois. » C’est ainsi que Denis Pilon décrit sa vie depuis deux ans.

Il s’est retrouvé dans la rue pour la première fois après un incendie dans son domicile alors qu’il avait 54 ans.

Aujourd’hui, il ne serait plus considéré comme un sans-abri dans la plupart des statistiques. Il alterne entre l’appartement de son ami Guy, et le logement de tous ceux qui veulent bien l’héberger.

« Je remercie Dieu de m’avoir donné une grande famille. J’ai cinq soeurs et deux frères alors je divise le mois entre tous ces gens. » – Denis Pilon

La situation qu’il vit est appelée l’itinérance « cachée » ou « dissimulée ».

Statistique Canada estime qu’en 2014, 8 % de la population canadienne vivait ce type de sans-abrisme ce qui représentait près de trois millions de personnes.

Le risque de les oublier

Oublier cette population représente un risque important pour la société, estime Henri Pallard, professeur au département de Loi et justice de l’Université Laurentienne.

Car même s’il n’est plus un sans-abri, Denis Pilon fait partie d’une population dite « à risque ». La prochaine crise peut facilement le remettre à la rue.

« Définitivement que si ça arrive une fois, ça peut arriver deux fois, 15 fois, 25 fois, 1001 fois dépendant de l’individu et considérant surtout ceux atteints de troubles mentaux. » – Denis Pilon

Quand ils ne sont pas comptabilisés dans les dénombrements, poursuit le chercheur, cela équivaut à sous-estimer le taux d’itinérance et à prendre le risque de ne pas y répondre adéquatement avec un financement et les programmes nécessaires.

Une méthodologie de dénombrement plus poussée

Henri Pallard et son équipe se targuent d’avoir mené en 2015 une étude minutieuse et surtout, coûteuse. Une équipe de 35 personnes a passé jusqu’à sept jours consécutifs à approcher la population de six villes du Nord de l’Ontario, et ce, plusieurs fois pendant l’année.

À titre de comparaison, le dénombrement fait à Montréal en 2015 s’est déroulé pendant une nuit avec l’aide de centaines de bénévoles.

« On faisait du porte-à-porte. On ne se fiait pas seulement aux nombres de personnes qui allaient dans des organismes sociocommunautaires », explique-t-il.

Dans le sondage, les participants devaient notamment spécifier si le logement dans lequel ils habitaient était le leur et s’ils avaient déjà été sans-abri.

Pas d’amélioration en vue

Pour le professeur, l’avenir augure mal.

« La situation du logement social au Canada est en crise présentement », déplore Henri Pallard, inquiet que cela vienne exacerber le phénomène de l’itinérance cachée.

Selon la Fédération canadienne des municipalités (FCM), 600 000 logements sociaux sont menacés au Canada avec la disparition des fonds fédéraux qui les soutenaient.

Dans une étude publiée en novembre 2016, Statistique Canada estimait qu’en 2014, 8 % des Canadiens âgés de 15 ans et plus déclaraient avoir déjà eu à vivre temporairement avec leur famille, des amis, dans leur voiture ou n’importe où ailleurs à un moment donné de leur vie, car ils n’avaient nulle part où aller.

La recherche poursuit ainsi : « Les personnes ayant déménagé fréquemment et celles ayant un faible niveau de soutien social étaient plus susceptibles d’avoir vécu un épisode d’itinérance cachée ».

Un phénomène qui demeure visible

Dans le refuge où Denis Pilon fait du bénévolat, les va-et-vient de personnes transportant toutes leurs affaires sur leur dos sont nombreux.

Pour le directeur du centre sociocommunautaire Samaritain à Sudbury, Kevin Serviss, les conclusions du professeur Pallard tiennent la route.

« Les gens qui dorment chez des amis ou à l’hôtel semblent constituer la majeure partie de ceux qui fréquentent l’établissement », dit-il.

« Je touche 700 $ de prestations par mois. Les logements sont de 800 $ et certains propriétaires demandent le premier et le dernier loyer. C’est impossible. » – Denis Pilon

Ce que Denis Pilon souhaite pour se sortir de ce cercle vicieux, ce sont des prestations plus adaptées à ceux qui vivent la même situation que lui.

Paru sur Ici.Radio-canada.ca

crédits photo: Joël Ashak