Homicide dans un contexte de violence conjugale: une enquête publique réclamée

vc_4

Toutes ces femmes assassinées au Québec depuis 10 ans avaient contacté la police avant de se faire tuer. Il y a cinq ans, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a réclamé – sans succès – une enquête publique du coroner sur ces sept tragédies.

À la même époque, la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes suggérait pour sa part la création d’un comité de révision des homicides chapeauté par le coroner en chef au sein duquel siégeraient des policiers et des groupes d’aide aux victimes de violence conjugale. Cette proposition s’inspire du modèle ontarien qui existe depuis 2003.

Aujourd’hui, avec le récent meurtre de Daphné Boudreault à Mont-Saint-Hilaire, les groupes d’aide aux femmes victimes de violence conjugale reviennent à la charge.

« Quand on regarde ces cas-là, et il y en a eu d’autres depuis, on découvre que les plaintes de ces femmes n’ont pas été prises suffisamment au sérieux », affirme la coordonnatrice des dossiers politiques du Regroupement, Louise Riendeau.

«Une enquête publique du coroner pourrait aller beaucoup plus loin que les rapports du coroner très laconiques qui ont été faits après ces décès.» -Louise Riendeau ,coordonnatrice des dossiers politiques du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

En effet, les sept rapports du coroner produits après les cas d’homicides de femmes cités par le Regroupement ne contiennent aucune recommandation pour mieux protéger la vie humaine. Cinq de ces rapports se contentent de conclure que « les circonstances entourant ce décès devant être éventuellement examinées par un tribunal, elles ne seront pas exposées dans ce rapport ».

Éliminer les mauvais plis

En plus de suggérer une enquête publique du coroner, le Regroupement, qui compte 42 maisons d’aide et d’hébergement, appuie la proposition touchant la mise sur pied d’un comité de révision des homicides à condition qu’il ne soit pas formé uniquement de policiers. « Ce n’est pas suffisant que les policiers révisent entre eux les dossiers de violence conjugale. Je ne dis pas que les enquêteurs travaillent mal, mais ils ont parfois de mauvais plis », souligne Mme Riendeau.

En Ontario, le comité formé de coroners, de policiers, d’un avocat, de chercheurs et de représentants de groupes d’aide aux victimes se réunit chaque année pour réviser les cas d’homicides pour ensuite publier des recommandations afin de prévenir d’autres tragédies. Depuis 2003, le comité a ainsi révisé 267 cas impliquant 376 morts. Dans 81 % des cas, la victime était une femme.

« En Ontario, ça a porté ses fruits. Les pratiques policières ont été améliorées », fait valoir Manon Monastesse de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes, qui compte quant à elle 36 maisons membres.

«On ne veut pas d’un comité où les policiers se parleraient entre eux. Tous les intervenants doivent travailler en collaboration et en concertation.» Manon Monastesse, Fédération des maisons d’hébergement pour femmes 

Mme Monastesse fait ainsi écho à la demande de Mme Riendeau du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

La Fédération en a parlé au ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux, lorsqu’il est arrivé en poste, et elle n’a eu aucune nouvelle de sa proposition depuis, ajoute Mme Monastesse.

Rencontre à venir

Au cabinet du ministère de la Sécurité publique, une porte-parole indique que le ministre Coiteux doit rencontrer les groupes d’aide aux femmes victimes de violence conjugale « au cours des prochaines semaines ».

L’inclusion des groupes d’aide aux victimes de violence conjugale au sein d’un comité de révision des homicides intrafamiliaux – qui existe déjà, mais qui est composé uniquement de policiers – va faire partie des discussions, confirme l’attachée de presse du ministre Coiteux, Marie-Ève Pelletier.

La suggestion de la tenue d’une enquête publique du coroner sera aussi à l’ordre du jour. « On veut voir comment on peut travailler vers une collaboration accrue », a ajouté à La Presse Mme Pelletier.

De son côté, le Bureau du coroner ne rejette pas l’idée d’une enquête publique, mais précise qu’une telle enquête ne pourrait se tenir avant ou pendant le déroulement du processus judiciaire en vertu de la loi. « Dans la majorité des cas, dont celui de la jeune femme de Mont-Saint-Hilaire, la personne présumée meurtrière est vivante et doit subir un procès, ce qui amène de très longs délais, explique sa responsable des communications Geneviève Guilbault. C’est néanmoins un sujet que le Bureau du coroner garde à l’esprit et suit de près. »

L’idée de créer un comité de révision des homicides conjugaux chapeauté par la coroner en chef est une « avenue intéressante qui mérite d’être étudiée et qui va dans le sens de ce que nous mettons également en place au Québec, à savoir la formation de comités mandatés pour réviser systématiquement certains types de décès », ajoute Mme Guilbault du Bureau du coroner. Des comités se penchent déjà sur toutes les morts des jeunes de moins de 18 ans et les suicides de personnes présentant des difficultés liées à l’identité ou l’orientation sexuelles.

Trois cas troublants

Francine Nadeau

Francine Nadeau, 53 ans, a été assassinée par son ancien conjoint Pierre D’Avignon à Sorel en 2007 alors qu’elle venait de porter plainte contre lui à la Sûreté du Québec pour harcèlement criminel et menaces de mort. L’homme violent avec qui elle n’était plus en couple depuis environ trois ans est sorti de l’hôpital après un séjour en psychiatrie moins d’une semaine avant le meurtre. Après avoir reçu la plainte, les policiers de la Sûreté du Québec ont suggéré à la victime de passer la nuit chez des amis ou dans une maison d’hébergement. Mme Nadeau a décidé de retourner dormir dans la maison où elle vivait depuis sa séparation, soit le domicile d’une amie qu’elle considérait comme sa « deuxième mère ». Ce jour-là, les policiers ont rencontré M. D’Avignon, mais rien n’indiquait qu’il y avait « une urgence », selon ce qu’a dit un porte-parole de la SQ à l’époque. Deux heures plus tard, l’ex-conjoint s’est introduit par effraction chez sa victime et l’a tuée d’un coup de feu avant de se suicider.

Carmen Bernier Jobin

Carmen Bernier Jobin a été tuée par son ex-conjoint Jean-Pierre Jobin alors qu’elle était pourtant accompagnée d’un policier de la Sûreté du Québec pour aller récupérer ses effets personnels après la rupture. Le drame est survenu en 2009 à Saint-Jean-de-Matha. L’agent est sorti de la maison pour aller déplacer son véhicule et a ainsi laissé la femme de 66 ans quelques minutes seule avec son ancien conjoint. Jobin en a profité pour poignarder à mort son ex-conjointe et s’est ensuite suicidé. La police avait été appelée la veille du drame pour intervenir à la suite d’une altercation entre Jobin et le nouveau conjoint de Mme Bernier. L’agent a écopé une suspension de sept jours.

Martine Giguère

Martine Giguère, 42 ans, a été tuée par son ancien conjoint Paul Joyce sous les yeux de ses deux enfants âgés de 12 et de 17 ans. Elle avait avisé les policiers à au moins trois reprises du comportement dangereux de son ex-conjoint. La mère de famille s’était plainte que son ex-conjoint la suivait et l’observait avec des jumelles. Elle avait notamment téléphoné à la police la veille de sa mort. Le drame est survenu dans la nuit du 3 au 4 août 2012 à Rimouski. En 2014, Joyce a été condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 20 ans.

Paru sur La Presse

crédits photo: Thinkstock