Les conditions de détention à l’établissement Leclerc doivent être connues du public

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En janvier 2016, votre gouvernement a procédé à la fermeture inopinée de la prison Tanguay à Montréal et a transféré les prisonnières dans un ancien pénitencier pour hommes fermé en 2012 pour cause de vétusté par le gouvernement Harper. Les conditions de détention des femmes à l’établissement Leclerc de Laval — dont la mixité hommes-femmes, le non-accès aux services et la configuration archisécuritaire des lieux — ont immédiatement été dénoncées par les détenues elles-mêmes, par des membres de communautés religieuses, des membres du Barreau, des groupes de défense des droits et des groupes de femmes. Un autre sujet de préoccupation était le changement de l’approche correctionnelle et la non-formation des agents habitués à une clientèle masculine et peu au fait des enjeux sexo-spécifiques d’une population carcérale féminine.

Or, les femmes incarcérées dans les prisons provinciales le sont en grande majorité pour de petits crimes liés à leur survie, et ce, pour de courts séjours d’une moyenne de près de deux mois. Les femmes judiciarisées ont presque toutes connu la pauvreté, la violence et les problèmes de santé mentale. En outre, comme vous le savez, les femmes autochtones sont surjudiciarisées et surreprésentées en prison.

Très peu de services sont offerts aux femmes à leur sortie de prison, alors que les problèmes d’emploi, de logement, de démêlés avec la DPJ, de discrimination en tous genres sont énormes.

Soucieux de la dignité et du respect des droits de toutes les femmes, notamment des femmes incarcérées, le Centre des femmes de Laval a mis sur pied son comité de mobilisation en soutien aux détenues de l’établissement Leclerc. Soutenu par son regroupement, L’R des Centres de femmes du Québec, le Centre des femmes de Laval s’est joint à la Ligue des droits et libertés et à la Fédération des femmes du Québec pour réclamer, en mai 2016, une mission indépendante d’observation à l’établissement Leclerc.

Vous avez refusé la tenue de la mission d’observation proposée, mais, face aux pressions populaires, avez mis sur pied un comité de travail qui, depuis déjà deux ans, se penche sur les conditions de détention à l’établissement Leclerc et sur l’avenir de l’incarcération des femmes au Québec. Le travail de ce comité a permis d’améliorer l’accès aux soins médicaux ou aux programmes et d’apporter les correctifs les plus urgents, dont le transfert, en juin 2017, des hommes vers d’autres établissements.

Dans le but de maintenir la mobilisation et de pousser la réflexion sur le bien-fondé de l’incarcération des femmes comme réponse à un problème social, nous avons créé la Coalition d’action et de surveillance sur l’incarcération des femmes au Québec (CASIFQ).

La Coalition vous a pressé de rendre public le rapport du comité de travail qui doit être déposé dans les prochains jours. Cette demande a malheureusement reçu une fin de non-recevoir. Pour la CASIFQ, il est essentiel de connaître les orientations et les recommandations de ce rapport pour que les travaux que vous menez, de même que l’éveil récent de la conscience collective sur les conditions de détention des femmes au Québec, ouvrent une réflexion commune plus large concernant l’incarcération des femmes comme réponse à un problème social.

Une réflexion publique s’impose en effet, et celle-ci doit inclure les femmes concernées. Comment peut-on croire que ces femmes puissent panser leurs blessures et se sortir du phénomène des portes tournantes si elles sont maintenues dans des conditions de détention inutilement répressives et souffrantes ? Les impacts néfastes de la prison sur les femmes sont bien documentés : appauvrissement, fragilisation sur le plan de la santé mentale et physique, enlisement dans le cycle de la petite criminalité, isolement social, perte de leur logement, désintégration de la famille. Il est impératif de réfléchir à d’autres options que l’incarcération des femmes en vue d’une réduction significative de la population carcérale.

La justice, tout comme les injustices, nous concerne tous et toutes.

* Cette lettre est aussi signée par :

  • Fédération des femmes du Québec; 
  • Ligue des droits et libertés;
  • Stella, l’amie de Maimie;
  • Fédération des maisons d’hébergement pour femmes;
  • L’Association des avocates et avocats en droit carcéral du Québec; 
  • L’R des Centres de femmes du Québec;
  • L’Auberge Madeleine;
  • Carrefour Foi et Spiritualité;
  • Clinique Droits Devant;
  • Continuité-famille auprès des détenues;
  • La Collective-Collectif Féminismes et Droit de l’UQAM;
  • Pierre Landreville, Professeur émérite, École de Criminologie, UdeM;
  • Catherine Chesnay, École de travail social, UQAM;
  • Lucie Lemonde, Département des sciences juridiques, UQAM;
  • Sophie de Saussure, candidate au doctorat en droit, Université d’Ottawa; 
  • Geneviève Lucas, Étudiante à la maitrise en Droit et Société, UQAM;
  • Berthe Provencher, Programme d’éducation pour la paix

Parue dans Le Devoir