La plupart d’entre nous associons probablement l’itinérance aux mendiants ou aux hommes qui dorment sur un banc dans les parcs — ce sont ceux que nous voyons en vaquant à nos occupations quotidiennes. Mais ils ne représentent pas la totalité des sans-abri du Canada.
Chaque nuit, on compte quelque 35 000 Canadiens dans la rue ou les refuges, et jusqu’à 50 000 autres sont des “sans-abris cachés”, logés par des amis ou des membres de la famille. Tout au long d’une année, 235 000 Canadiens vivent l’itinérance, selon une estimation — 5000 dans la rue, 180 000 dans des refuges et 50 000 logés provisoirement. Et 1,6 million de plus risquent de perdre leur domicile, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement.
En d’autres mots, cela peut arriver à presque n’importe qui. Comme c’est arrivé à Katrina.
“Ce n’est pas comme si je m’étais réveillée itinérante du jour au lendemain. Chaque année, les choses devenaient de plus en plus difficiles, ce n’était qu’un pas de plus vers le bas de l’échelle”, dit-elle au Huffington Post Canada. “Les choses n’allaient tout simplement pas bien pour moi. Comment suis-je passée de deux parents fantastiques dans le nord de l’Ontario à sans-abri?”
Quelques années après la fin du mariage de Katrina, en 2000, la femme de Kirkland Lake s’est retrouvée à Hamilton. Ses enfants les plus âgés y vivaient seuls, et ses plus jeunes y étaient aussi avec leur père. Elle souhaitait recommencer à zéro. Elle est allée à l’école pour devenir ambulancière paramédicale. Elle avait des aspirations. Mais elle avait aussi un passé.
“J’ai quitté un mariage malsain, mais je ne me suis pas vraiment attaquée aux problèmes, je ne me suis pas occupée des traumatismes. Je les ai gardés en moi et les ai transportés dans d’autres relations. Au moins un fois, il a fallu que je me cache et que je laisse tout derrière moi. Il y avait de la violence.”
Katrina affirme s’être retrouvée en cour avec son ex-mari au sujet de la pension alimentaire et de la garde de leurs enfants, ce qui l’a anéantie car elle n’avait pas droit à l’aide juridique en raison de son emploi à temps partiel. Elle a fini par devoir à son mari des paiements de pension alimentaire, ce qui l’a laissée avec des milliers de dollars de dettes. Son permis de conduire a été suspendu parce qu’elle ne pouvait pas payer la pension alimentaire. Et sans permis, elle ne pouvait trouver du travail, dit-elle. “C’était pas mal le début de la fin pour ce qui était de se loger.” […]
Le programme Logement d’abord (Housing First)
Logement d’abord est un projet reposant sur la conviction qu’il est plus facile de régler les problèmes d’un sans-abri une fois ce dernier logé. La stratégie consiste à trouver un logement à la personne sans lui imposer d’obligations ou presque — elle n’est pas tenue d’être sobre, de prendre part à un programme de santé mentale ou d’avoir un emploi. Elle doit seulement être dans le besoin, et le loyer est subventionné en fonction de sa capacité à payer.
“Vous devez respecter les conditions de votre bail comme n’importe qui, mais vous avez l’occasion d’être comme n’importe qui”, affirme Tim Richter, président et président directeur général de l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance (ACMFI).
L’ACMFI a récemment lancé sa Campagne 20 000 foyers, qui repose sur la stratégie de Logement d’abord. Elle s’inspire de la campagne 100,000 Homes menée aux États-Unis, qui a permis de trouver un endroit où vivre à 105 000 personnes. […] La droite a été la première a faire croître le programme. L’administration de George W. Bush l’a fait connaître à une plus grande échelle. […]
Un domicile stable signifie moins de déplacements coûteux à l’hôpital, d’interactions avec la police et de comparutions en cour, et cela élimine les refuges de l’équation. Le gouvernement de l’Alberta a fait savoir qu’un sans-abri chronique pouvait coûter plus de 100 000 $ par année, alors que dans le cadre de Logement d’abord, 35 000 $ par an permettent de fournir un logement permanent et le soutien nécessaire pour briser le cycle de l’itinérance. En d’autres termes, Logement d’abord permet d’économiser environ 2 $ par dollar dépensé pour ceux dont les besoins sont les plus élevés. […]
Le gouvernement Harper a également soutenu Logement d’abord depuis qu’une étude de cinq villes — menée par le Dr Tsemberis et portant sur les sans-abri canadiens aux prises avec des problèmes de santé mentale — a permis de constater que 73 % se trouvaient encore dans leur logement stable au bout d’un an, contre 32 % de ceux ayant profité des services habituels. Tout cela en ayant économisé de l’argent. Ottawa s’est subséquemment engagé à consacrer jusqu’en 2019 une somme de 119 millions $ par année à une stratégie reposant sur les principes de Logement d’abord.
Depuis, le NPD a accusé les conservateurs d’avoir « abandonné leurs responsabilités en matière de logement social » et se sont engagés à mieux soutenir les programmes de Logement d’abord. Le Parti vert a également promis d’accroître la portée de Logement d’abord tout en subventionnant le logement social. Les libéraux ont inclu dans leur plateforme électorale des programmes innovateurs de logement supervisé, en plus de promettre de subventionner la construction de logements abordables afin de renouveler le rôle joué par le fédéral dans le secteur du logement. […]
En 2007, l’ONU a qualifié d’’urgence nationale” l’itinérance au Canada, et a lancé un appel au gouvernement fédéral afin qu’il promette un financement à long terme et s’embarque dans la construction à grande échelle de logements sociaux. Selon Richter, élmimer l’itinérance au pays coûterait 1,7 milliard $ de plus par année, soit environ 46 $ par Canadien. […] Il s’agit de l’estimation faite par l’organisme de Richter, l’Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance, dans une étude rendue publique avec d’autres groupes de recherche, en octobre dernier. Ils avancent que c’est ce qu’il faut pour mettre en place leur programme en six parties afin d’éliminer l’itinérance chronique et de prévenir l’itinérance à l’avenir.
Critiques
Bien que Logement d’abord soit le noeud du programme de l’ACMFI, elle n’en constitue qu’une partie. La stratégie a été critiquée dans certaines sphères car elle peut accorder la priorité aux hommes plus âgés aux dépens des femmes, des jeunes gens et des sans-abri cachés. En mettant l’accent sur ceux qui sont le plus dans le besoin — les gens dans la rue et les refuges aux prises avec des problèmes de santé mentale — le programme peut ignorer des personnes comme une mère célibataire habitant chez des amis tout en faisant oublier la nécessité de logements plus abordables, estiment ses adversaires. […]
Richter reconnaît que Logement d’abord ne représente qu’une partie d’une solution qui dépend également du logement social. “Le moyen le moins cher de mettre fin à l’itinérance est de le prévenir”, dit-il, ajoutant que le rapport L’État de l’itinérance au Canada 2014 estime que l’itinérance coûte 7 milliards $ par année en tenant compte du coût des soins de santé, des services correctionnels et des services sociaux.
Lire l’article dans son intégralité sur le Huffington Post Canada