Bill Cosby : 15 présumées victimes d’agressions sexuelles

NBC a décidé mercredi de mettre un terme au projet de sitcom que la chaîne américaine développait avec Bill Cosby, après qu’une nouvelle présumée victime d’agression sexuelle, l’animatrice de télévision Janice Dickinson, eut révélé avoir été violée par le célèbre humoriste au début des années 80.

La veille, Netflix avait aussi décidé de ne pas diffuser une émission spéciale soulignant les 77 ans de Bill Cosby, à la fin du mois de novembre. Mercredi soir, Cosby devait être l’invité de David Letterman au Late Show. Son invitation lui a été retirée au cours de la journée.

Quinze présumées victimes. Depuis 45 ans. Il a fallu que la quinzième, une ancienne mannequin devenue juge du concours télévisé America’s Next Top Model, soit assez connue pour que les revendications des 14 autres soient soudainement considérées comme légitimes.

Bill Cosby a été l’une des plus grandes vedettes de l’histoire de la télévision américaine grâce à son émission The Cosby Show, immensément populaire dans les années 80. Son personnage de Cliff Huxtable en a fait la figure paternelle par excellence de l’époque, l’incarnation même du bon père de famille (il devait d’ailleurs jouer le rôle du patriarche dans la nouvelle série qu’il avait proposée à NBC).

Cosby a contribué à sa façon à affaiblir le clivage racial aux États-Unis, en conviant un auditoire majoritairement blanc dans le quotidien fictif d’une famille de la classe aisée afro-américaine. Il a toujours dénoncé publiquement les stéréotypes machos véhiculés par la culture du hip-hop, refusé de verser dans l’humour vulgaire et longtemps prêté son visage rassurant à des pubs de Jell-O.

Mais dans le privé, selon toute vraisemblance, Cosby a abusé de sa notoriété et de son aura de célébrité pour gagner la confiance de jeunes femmes qu’il a agressées.

Mardi, dans une entrevue télévisée, Janice Dickinson a déclaré avoir été droguée et violée par Bill Cosby en 1982, alors qu’elle était mannequin. L’avocat de Bill Cosby l’a aussitôt accusée de faire des insinuations mensongères et diffamatoires et a menacé de représailles les médias qui ont relayé l’information.

Janice Dickinson n’est pas la première à accuser Bill Cosby de viol. Quatorze autres présumées victimes devaient témoigner lors d’une poursuite intentée en 2005 par l’une d’entre elles, Andrea Constand, avant qu’une entente à l’amiable ne soit négociée avec le clan Cosby. Cosby a toujours refusé de commenter ces affaires.

Barbara Bowman, l’une de ces présumées victimes, a écrit un texte percutant dans le Washington Post la semaine dernière. Elle y accuse Bill Cosby de l’avoir violée alors qu’elle était une adolescente de 17 ans rêvant d’une carrière d’actrice, au milieu des années 80.

«Lorsque c’est arrivé, c’était si horrible que j’avais de la difficulté à me l’avouer, encore moins aux autres», écrit-elle. Son agent a refusé d’en entendre parler; un avocat ne s’est pas montré davantage intéressé, l’accusant même de tout inventer. Elle a mis 20 ans avant d’en reparler, et à peu près personne, dit-elle, n’a accordé de crédibilité à son témoignage.

Et on se demande encore, dans la foulée de l’affaire Ghomeshi, pourquoi il n’y a pas davantage de victimes qui dénoncent leurs agresseurs? Depuis des décennies, des soupçons d’agressions sexuelles pèsent sur Bill Cosby. Il a fallu qu’une vidéo d’un spectacle d’humour devienne virale, et qu’une célébrité raconte son viol, pour que l’on prenne toutes ces accusations au sérieux.

«C’est seulement après qu’un homme, Hannibal Buress, eut traité Bill Cosby de violeur dans un numéro d’humour le mois dernier que le public a commencé à vraiment s’indigner», remarque Barbara Bowman.

«Pourquoi personne ne m’a crue, moi? Pourquoi ma plainte n’a-t-elle pas suscité le même émoi, la même réaction de révulsion? Pourquoi ai-je été, moi, victime d’agression sexuelle, traînée dans la boue lorsque j’ai osé accuser mon agresseur? Les victimes de Bill Cosby parlent de ses crimes depuis plus d’une décennie. Pourquoi nos histoires n’ont-elles pas été virales?»

Deux poids, deux mesures

Nous vivons dans un monde de deux poids, deux mesures. Où les gens riches et célèbres achètent ou négocient le silence de leurs victimes, grâce à un arsenal d’avocats et de spécialistes en relations publiques, en leur faisant comprendre que leur témoignage ne fera jamais le poids contre le leur.

Un monde de deux poids, deux mesures où un animateur de radio canadien peut battre des femmes pendant plus d’une décennie sans être inquiété. Où un humoriste américain peut violer des femmes à répétition pendant 45 ans sans que son image publique soit ternie. Où une vedette de télé québécoise peut, sous le couvert de l’humour, harceler sexuellement des collègues sans jamais être dénoncée publiquement.

Pourquoi? Parce que nous sommes complices d’un sexisme quotidien sur lequel nous fermons complaisamment les yeux, d’une culture de harcèlement que nous jugeons socialement acceptable. Parce que les employeurs préfèrent protéger les stars de leur chaîne plutôt que les recherchistes sur lesquelles elles ont un ascendant.

Nous vivons dans un monde de deux poids, deux mesures où les victimes se sentent doublement humiliées lorsqu’elles ne sont pas crues, où leurs agresseurs imbus d’eux-mêmes, à force d’impunité, finissent par se croire légitimés d’abuser de leur pouvoir. Un monde où il n’y a que la force du nombre pour faire bouger les choses et briser l’omerta. Où la parole d’un homme vaut celle de quatorze femmes.