Agressions sexuelles: la SQ ne rouvrira aucune enquête

sq_2

 Plutôt que de rouvrir ces dossiers, la SQ a plutôt revu leur nombre à la baisse et elle n’a pas l’intention de changer ses pratiques d’enquête. Nos explications.

Une plainte pour agression sexuelle reçoit la mention « non fondée » quand la police estime qu’aucun crime n’a été commis. La Sûreté du Québec vient de réviser la classification de ses dossiers « non fondés » et conclut qu’ils représentent 12 % de l’ensemble des plaintes, plutôt que 21 %, comme l’affirmait une enquête publiée par le Globe and Mail en février.

La SQ s’est cependant contentée de vérifier si les dossiers avaient été classés dans la bonne catégorie, sans analyse plus poussée pour voir si l’enquête avait été bien faite.

Les reportages sur les nombreuses plaintes d’agressions sexuelles rejetées par les corps policiers ont suscité l’indignation partout au pays. Des victimes racontaient n’avoir pas été prises au sérieux par les policiers, dénonçaient des enquêtes bâclées et rapportaient des critiques sur leur comportement ou le fait qu’elles avaient bu de la part des enquêteurs.

« Il est inacceptable que le taux de plaintes non fondées soit si élevé. Je suis incroyablement inquiète quant aux obstacles à l’accès à la justice pour les victimes d’agressions sexuelles », avait réagi la ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould.

«Si elles ne portent pas plainte de crainte qu’on ne les croie pas, ou parce qu’elles ne font pas confiance au système de justice, ça remet sérieusement en question l’intégrité du système.» -Jody Wilson-Raybould,ministre de la Justice du Canada

Divers corps policiers canadiens ont réexaminé les plaintes rejetées et revu leurs pratiques d’enquête sur les crimes sexuels.

La SQ leur a emboîté le pas. « On va voir ce qui s’est fait au niveau de l’enquête. Mais il faut faire une distinction, on ne va pas reprendre les enquêtes à zéro », avait alors expliqué le chef des communications de la police provinciale, Guy Lapointe, sur les ondes de Radio-Canada.

Finalement, la vérification s’est limitée à la classification administrative des dossiers.

«Nous n’avons pas remis en question le travail des enquêteurs au dossier.» -Le lieutenant Martine Asselin, en dévoilant à La Presse les conclusions de l’exercice

Les enquêteurs de la section des crimes majeurs se sont penchés sur les plaintes non fondées de 2014 et 2016 (environ 800 dossiers), pour constater que 30 % d’entre elles se trouvaient dans la mauvaise catégorie. « Ces dossiers auraient dû être classés « non solutionnés », généralement parce que la victime refusait de porter plainte ou retirait sa plainte », indique Mme Asselin.

INUTILE, DÉNONCENT LES MILITANTES

Cet exercice n’aura aucun effet pour encourager les dénonciations, selon les groupes de soutien aux victimes d’agressions sexuelles, qui militent pour l’amélioration des pratiques policières en la matière. Seulement 5 à 10 % des victimes portent plainte contre leur agresseur.

« La police qui enquête sur elle-même, on se demande ce que ça donne. On aimerait qu’ils sollicitent des groupes qui travaillent avec les victimes, parce qu’il y a encore des préjugés parmi les policiers », souligne Mélanie Sarroino, porte-parole du Regroupement québécois des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS).

«Des plaintes sont parfois rejetées parce que des femmes se font dire qu’elles étaient habillées trop sexy ou qu’elles avaient bu.» Mélanie Sarroino, porte-parole du RQCALACS

« Vont-ils analyser pourquoi les plaintes ont été rejetées ? Vont-ils améliorer les façons de prendre les plaintes des victimes d’agressions sexuelles ? », demande Sophie Charpentier, intervenante au CALACS Trêve pour elle, dans Hochelaga-Maisonneuve.

« À moins de solliciter des avis externes, la police ne peut pas juste demander à la population de lui faire confiance aveuglément, dit Holly Johnson, professeure de criminologie à l’Université d’Ottawa. C’est facile de changer la classification d’une plainte sans faire de changement significatif. »

« ENQUÊTEURS COMPÉTENTS »

La SQ, qui ne prévoit pas de changement majeur à ses méthodes d’enquête, défend ses pratiques.

« Nos enquêteurs qui traitent les plaintes d’agressions sexuelles sont formés spécifiquement dans ce domaine, souligne Martine Asselin. Avant d’être fermé, chaque dossier a été soumis à un gestionnaire, et dans la moitié des cas, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a été consulté. » Dans l’avenir, la SQ prévoit demander l’avis du DPCP dans tous les dossiers jugés non fondés, annonce toutefois Mme Asselin.

En collaboration avec les intervenants du Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC), les policiers s’assurent aussi que les plaignantes reçoivent le soutien nécessaire, ajoute-t-elle.

Cependant, « tous les policiers n’ont pas la même empathie à l’endroit des victimes », reconnaît le capitaine Philippe Théberge, chef des enquêtes sur les crimes majeurs à la SQ.

FAUSSES PLAINTES ?

Si 12 % des dossiers ne sont pas fondés, est-ce à dire que les plaignantes (la vaste majorité sont des femmes) mentent et déposent des plaintes bidon ? « Il peut s’avérer que la relation était consensuelle ou que l’événement n’a pas eu lieu, répond la porte-parole de la SQ. Il peut parfois y avoir des problèmes de perception. Ce n’est pas nécessairement parce que la police ne croit pas la victime. »

Le Service de police de la ville de Montréal (SPVM), de son côté, n’a pas prévu de révision ni de changement à ses pratiques. Il mise sur l’expertise de son unité spéciale sur les agressions sexuelles, créée il y a 22 ans.

On pourrait envisager de rouvrir une enquête « s’il y a de nouveaux éléments », reconnaît simplement le commandant de la section des crimes majeurs, Vincent Rozon.

Le taux de plaintes non fondées était de 12 % à Montréal en 2016, alors que la moyenne était de 18 % entre 2010 et 2015, selon les données publiées par le Globe and Mail.

RÉFLEXION AU BARREAU

La SQ et le SPVM participent, avec d’autres intervenants du système judiciaire, à un groupe de travail du Barreau du Québec sur le traitement judiciaire des agressions sexuelles, qui envisage notamment une collaboration plus étroite avec des groupes d’aide aux victimes. Il a été impossible d’en savoir plus sur l’objectif de ce comité de la part du Barreau.

Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a aussi annoncé que le prochain « mandat d’inspection thématique », que son ministère lancera dans les prochains mois, porterait sur les pratiques des corps policiers en matière d’agression sexuelle.

Holly Johnson espère que ces réflexions donneront des résultats. « À quoi bon encourager les victimes à porter plainte si le système ne leur permet pas d’obtenir justice ? », demande-t-elle.

TAUX DE PLAINTES NON FONDÉES

  • Canada : 19 %
  • Province de Québec : 17 %
  • Montréal : 18 %
  • Québec : 18 %
  • Laval : 22 %
  • Longueuil : 9 %
  • Granby : 30 %
  • Gatineau : 16 %

Source : Globe and Mail, 2010 à 2015

LES AGRESSIONS SEXUELLES ET LA JUSTICE

  • Agressions sexuelles déclarées par sondage : 633 000
  • Plaintes à la police : 20 735
  • Agressions sexuelles déclarées par la police : 12 663
  • Inculpations : 9088
  • Poursuites : 3752
  • Condamnations : 1814
  • (3 condamnations pour 1000 agressions)

Source : Statistique Canada, 2014

Paru dans La Presse

crédits photo: FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE