Une confiance effritée envers le système judiciaire
Cet article de blogue a originalement été rédigé dans le cadre du cours Adultes victimes de violence durant l’enfance enseigné par Natacha Godbout, directrice de TRACE, à l’UQAM à l’automne 2023. La publication de article a aussi été rendue possible grâce à notre partenariat avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS) et grâce aux Fonds de recherche du Québec.
Bissonnette, F. et Coupienne, M. (2024, 15 juillet). Une confiance effritée envers le système judiciaire. Blogue TRACE. https://natachagodbout.com/fr/blogue/une-confiance-effritee-envers-le-s…
Des femmes victimes d’agression sexuelle incomprises
L’expérience de Katerine est partagée par une majorité de femmes ayant subi des agressions sexuelles, qui sont définies comme un acte à caractère sexuel imposé à une personne sans son consentement, portant ainsi atteinte à son intégrité2 ,3 . Une femme sur trois qui est victime d’agression sexuelle affirme ne pas faire confiance au système judiciaire4 . Pour certaines, dénoncer leur agresseur* est un moyen d’obtenir justice et de tenter de mettre un terme aux récidives potentielles5 . Cependant, encore aujourd’hui, les acteurs et actrices judiciaires perpétuent les mythes entourant l’agression sexuelle. En plus de ces biais, d’autres facteurs, comme la culpabilité ressentie par les victimes ou la peur des représailles, expliquent pourquoi l’agression sexuelle est l’un des crimes les moins dénoncés6 . La culture du viol qui est présente dans le système de justice pénale constitue un obstacle pour les victimes et les rend réticentes à s’engager dans ce long processus7 . Les acteurs et actrices judiciaires moins bien informé·e·s sur les conséquences des agressions sexuelles sur les victimes ou qui présentent des biais négatifs face à cette problématique contribuent à la revictimisation de ces femmes, ce qui amplifie leur détresse psychologique1 .
Les répercussions d’une agression sexuelle
Subir une agression sexuelle est souvent l’une des expériences les plus traumatisantes qu’une personne puisse vivre. Cette forme de violence a des répercussions significatives sur la santé mentale et physique des survivantes qui peuvent persister pendant plusieurs mois, voire plusieurs années7 . Par exemple, les conséquences peuvent se manifester par :
- De la peur et de l’anxiété ;
- De l’hypervigilance, c’est-à-dire une attention excessive portée à des stimuli en lien avec le traumatisme qui sont perçus comme potentiellement menaçants8 ;
- Des difficultés de sommeil et des cauchemars ;
- Un sentiment de honte et de culpabilité ;
- Une tendance à s’isoler ;
- Des symptômes dépressifs.
Ces importantes répercussions sur les survivantes peuvent affecter leur fonctionnement social, psychologique et quotidien. De plus, vivre une agression sexuelle peut avoir un impact neurobiologique, en affectant des parties du cerveau responsables de la mémoire et de la régulation émotionnelle9 .
Il est donc essentiel pour les acteurs et actrices du système de justice pénale de comprendre les impacts significatifs de ce type de violence sur les victimes d’agression sexuelle et d’intégrer cette compréhension dans leurs attentes en matière de témoignage. Dans un système où la preuve doit être hors de tout doute raisonnable, les conséquences d’une agression sexuelle peuvent affecter la crédibilité de la victime et la fiabilité de son témoignage. Cet aspect doit donc être davantage pris en compte.
La présence des mythes entourant l’agression sexuelle dans le système de justice pénale
Les femmes victimes d’agression sexuelle sont souvent confrontées à des pressions sociales lorsqu’elles décident de dénoncer la violence qu’elles ont subie. Leur témoignage est d’une importance cruciale puisque dans la majorité des cas, elles sont l’unique personne pouvant témoigner contre leur agresseur7 . Cependant, plusieurs mythes entourant l’agression sexuelle, qui sont parfois véhiculés par les acteurs et actrices du système de justice pénale, sont irréalistes et ont un fort impact sur l’image de la victime devant le tribunal. Pour mieux comprendre la réalité des survivantes d’agressions sexuelles, décomposons quelques mythes courants auxquels elles sont souvent confrontées :
Mythe | Réalité |
Une victime qui ne s’est pas débattue ou qui n’a pas tenté d’échapper à son agresseur n’a pas réellement été agressée. | Ce mythe ne tient pas compte d’une réaction commune et normale de l’humain face à un danger, soit le fait de figer. En effet, lorsqu’une personne fait face à une menace pour sa vie ou son intégrité physique, elle a généralement l’une des trois réactions suivantes : se battre, s’enfuir ou figer. Ces réponses sont automatiques et visent à protéger le corps lorsqu’il est dans l’incapacité de réfléchir en raison d’un stress trop intense7 . Cependant, cette réaction à une agression ne correspond pas à la « bonne réaction » qui est attendue de la part d’un public qui adhère à ces fausses représentations. |
Une victime qui présente un récit incohérent et qui ne semble pas bien se rappeler de l’évènement ne dit pas la vérité. | Les lacunes liées à la mémoire d’un souvenir traumatique sont tout à fait normales. Au moment de l’agression, le cerveau est envahi par des hormones de stress qui empêchent la formation de souvenirs clairs et précis. Ainsi, s’attendre à un récit détaillé et cohérent de l’agression de la part des victimes n’est ni réaliste ni rationnel7 . |
Une survivante qui n’a pas dénoncé rapidement l’agression n’est pas réellement une victime ou n’est pas crédible. | La grande majorité des victimes d’agressions sexuelles au Canada ne dénoncent jamais leur agresseur7 . Plusieurs facteurs dont la culture du viol qui rejette le blâme sur les victimes, la crainte de ne pas être crue, le sentiment de honte, ainsi que la peur des représailles provenant de l’agresseur sont des enjeux auxquels font face les victimes. En prenant en compte ce contexte de méfiance dans lequel elles se retrouvent, il est normal que les victimes se sentent plus réticentes à dénoncer leur agresseur. |
La présence de ces mythes au sein du système de justice peut provoquer une méfiance et un scepticisme de la part des acteurs et actrices judiciaires. Par conséquent, la crédibilité de la victime peut être compromise, alimentant le sentiment de blâme et de culpabilité qu’elle peut ressentir. Bien que le Code criminel interdise la présence de mythes et de stéréotypes lors d’un procès d’agression sexuelle, certains persistent.
Comment les survivantes d’agression sexuelle peuvent-elles retrouver leur confiance envers le système de justice pénale ?
Plusieurs spécialistes se sont mobilisé·e·s pour trouver une solution à ce problème. En 2020, le comité d’expert·e·s sur l’accompagnement des personnes victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale a déposé le rapport « Rebâtir la confiance ». Ce document cible 190 recommandations qui visent l’amélioration de l’accompagnement psychosocial et judiciaire des victimes, en plus de leur faciliter l’accès aux services10 .
En 2022, le gouvernement du Québec a tenté de répondre à ce rapport en adoptant un projet pilote qui a pour objectif l’instauration d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale au Québec. Ce projet encourage les acteurs et actrices du système de justice pénale à suivre des formations spécifiques les sensibilisant aux enjeux vécus par les personnes survivantes d’agressions sexuelles. L’un des objectifs est de répondre avec une plus grande sensibilité aux questions et interrogations des victimes.
En travaillant toustes ensemble, il est possible de contrer les mythes entourant l’agression sexuelle qui ont des effets délétères sur les personnes survivantes. Il est important pour les citoyen·ne·s, pour les intervenant·e·s du système de la santé, ainsi que pour les acteurs et actrices du système de justice de normaliser les réactions incontrôlées face aux traumatismes, de se mettre à jour sur les connaissances à l’égard des agressions sexuelles et d’être accueillant·e·s et sensibles envers les survivant·e·s d’agression sexuelle.
* Dans ce texte, le terme agresseur est utilisé au masculin puisque selon les statistiques6, la majorité des auteurs d’agression sexuelle sont des hommes. Par contre, il est tout de même reconnu que les agressions sexuelles peuvent aussi être perpétrées par des femmes ou des personnes non binaires.
Ressources d’aide et de renseignements
Info-aide violence sexuelle : une ligne téléphonique qui s’adresse aux victimes de violence sexuelle, à leurs proches et aux intervenant·e·s pour communiquer de l’information et rediriger les personnes vers les ressources d’aide et de protection dans leur secteur.
- 24h/24, 7 jours
- 1-888-933-9007
Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel – CALACS : des organismes qui offrent des services d’aide, de soutien et d’accompagnement gratuit aux femmes et aux adolescentes victimes de violences sexuelles.
Centre d’aide aux victimes d’actes criminels – CAVAC : des organismes sans but lucratif qui offrent des services de première ligne aux personnes victimes d’un acte criminel, à leurs proches, ainsi qu’aux témoins d’un acte criminel.
Rebâtir : un service gratuit et confidentiel offert par des avocat·e·s de l’aide juridique pour obtenir des conseils en situation de violences sexuelles ou de violence conjugale.
- Ouvert tous les jours de 8h30 à 16h30
- 1-833-732-2847
Juripop : propose une banque d’avocat· e·s de pratique privée qui sont formé·e·s et sensibilisé·e·s aux réalités des personnes victimes et survivantes de violences conjugales et sexuelles.
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- 1a b Frenette, M., Boulebsol, C., Lampron, È.-M., Chagnon, R., Cousineau, M.-M., Dubé, M., Lapierre, S., Sheehy, E. A., et Gagnon, C. (2018). Femmes victimes de violence et système de justice pénale: expériences, obstacles et pistes de solution. https://www.fmhf.ca/sites/default/files/upload/documents/publications/rapport_femmes_violence_justice.pdf
- 2Laforest, J., Maurice, P., et Bouchard, L M. (dir.) (2018). Rapport québécois sur la violence et la santé. Institut national de santé publique du Québec. https://www.inspq.qc.ca/rapport-quebecois-sur-la-violence-et-la-sante
- 3Code criminel. L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 271. https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-46/index.html
- 4Northcott, M. (2021). Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels : Sondage mené auprès de survivants de violence sexuelle (publication no 6). Gouvernement du Canada. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr6- rd6/p3.html
- 5Hattem, T. (2000). Rapport de recherche enquête auprès de femmes qui ont survécu à une agression sexuelle. https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/jp-cj/victim/rr00_4/rr00_4.pdf
- 6Institut national de santé publique du Québec. (2022). Statistiques sur les agressions sexuelles. https://www.inspq.qc.ca/agression-sexuelle/statistiques
- 7a b c d e f Haskell, L., et Randall, M. (2019). L’incidence des traumatismes sur les victimes d’agressions sexuelles d’âge adulte. Gouvernement du Canada. https://www.justice.gc.ca/fra/pr- rp/jr/trauma/index.html
- 8Cameron, A. Y. et Mamon, D. (2019). Towards a better understanding of hypervigilance in combat veterans. Military Behavioral Health, 7(2), 206-217. https://doi.org/10.1080/21635781.2018.1526144
- 9Van der Kolk, B. A., et Fisler, R. (1995). Dissociation and the fragmentary nature of traumatic memories: Overview and exploratory study. Journal of Traumatic Stress, 8(4), 505-525. https://doi.org/10.1007/BF02102887
- 10Corté, É. (2021). Rebâtir la confiance / rapport du comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4287551
Florence Bissonnette entame sa dernière année de baccalauréat en psychologie à l’UQAM. À l’automne 2024, elle fera sa thèse de spécialisation en lien avec les stéréotypes de genre et les difficultés de comportement, dont l’agression relationnelle. Elle s’intéresse aussi beaucoup à la violence dans les relations amoureuses à l’adolescence.
Me Marilyn Coupienne est conseillère juridique à la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. Elle est aussi chargée de cours à la Faculté de science politique et de droit de l’UQÀM en plus d’être candidate au doctorat en droit à l’Université d’Ottawa. Sa thèse étudie comment s’opère la construction sociale de la négligence par les acteurs socio-judiciaires (DPJ et Chambre de la jeunesse).