La violence sexuelle, un fléau à l’université

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« Les canaux institutionnels qu’on nous invite à investir pour porter plainte ne fonctionnent pas, les gens n’y vont pas », constate la chercheuse Sandrine Ricci, qui présentera les premiers résultats de l’enquête Sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire (ESSIMU) au congrès de l’Acfas mardi.

 Entre le 19 janvier et le 31 mars, 8733 personnes qui travaillent ou étudient sur l’un des six campus visés par le projet ont répondu à un questionnaire en ligne élaboré par une équipe de chercheuses sous la direction de Manon Bergeron, professeure au Département de sexologie à l’UQAM.

 De ce nombre, 37,3 % disent avoir vécu « au moins un événement de violence sexuelle en milieu universitaire ». Une personne sur 4 rapporte avoir été victime d’un tel acte au cours des douze derniers mois.

 Près de la moitié des cas de violence sexuelle sont survenus « dans un contexte d’activités sociales ou festives », précise la chercheuse de l’UQAM, Sandrine Ricci.« Viennent ensuite les activités d’enseignement ou d’études, l’exécution de tâches professionnelles et puis l’initiation, qu’on avait exclue des activités sociales et prise séparément. L’initiation facultaire ou départementale, c’est 12 %. C’est quand même pas mal. »

 Plusieurs formes de violence sexuelle

 La victime « typique » est une étudiante de premier cycle (60 %). Et son agresseur est, dans 70 % des cas rapportés, un ou des étudiants de sexe masculin.

 La majorité des actes rapportés entrent dans la catégorie du harcèlement sexuel. Viennent ensuite les attentions sexuelles non désirées — qui incluent l’agression sexuelle au sens traditionnel du terme — puis la coercition sexuelle, qui se définit par une sorte de chantage en retour de considérations futures liées à l’emploi ou en milieu scolaire.

 « La coercition sexuelle, ça représente 3 %, c’est très faible. Mais sur un échantillon de 8733 personnes, ça fait du monde à la messe ! Dans un contexte où on veut vraiment éradiquer cette violence-là, il ne faut pas minimiser. »

 Conséquences

 Les chercheuses s’intéressent également aux impacts chez les victimes. D’emblée, elles peuvent dire que 40 % des victimes ont subi des conséquences qui influent sur leur vie professionnelle, scolaire ou personnelle, leur vie sociale ou leur santé physique. On pense à un changement de parcours scolaire par exemple ou à une augmentation de la consommation de drogue ou d’alcool.

 Mais sur cet aspect, il y a beaucoup de facteurs à prendre en considération, note Sandrine Ricci, qui rappelle qu’il faut considérer un acte de violence sexuelle dans son ensemble et non comme un acte isolé. « Avec la notion de continuum, on évite de coller une étiquette de gravité parce que, si la personne en est à son huitième épisode de harcèlement, d’invitation à prendre une bière après le cours par exemple, et que cela s’accompagne d’autres victimisations antérieures, la gravité ou les conséquences peuvent être beaucoup plus importantes. »

 Pas de dénonciations

 Autre fait intéressant : 36 % des victimes n’ont jamais parlé de cet événement à autrui. Pas étonnant donc de voir que « la très forte majorité » n’a jamais porté plainte. Là aussi, il faudra investiguer davantage au cours de l’étude qualitative qui suivra, note Sandrine Ricci. Mais cette dernière est convaincue que la difficulté de porter plainte, dans la société en général, et le peu de résultats qui en découle sont au coeur du problème.

 « Quand on a un cas de viol et que la victime a tout fait correctement : elle a été agressée, elle est allée voir la police tout de suite après, elle ne portait pas de minijupe, elle n’était pas saoule, ce n’est pas une femme dans la prostitution — éléments qui sont tous généralement ramenés pour discréditer la victime —, même dans ces cas-là, c’est toujours la parole de l’agresseur contre celle de la victime. Et il y a un taux de judiciarisation très faible. Les victimes savent ça. Alors quand ce sont des violences qui sont moins importantes, c’est tellement astreignant de porter plainte[qu’elles ne le font pas]. »

 Banalisation

 Une personne sur trois qui est victime de violence sexuelle, c’est beaucoup. Mais c’est quand même moins que ce à quoi s’attendait la chercheuse. « Mon impression, c’est qu’il y a très peu de femmes qui n’ont pas vécu un épisode [de violence sexuelle]. Je me serais donc attendue à plus de résultats sur cette base-là », confie la chercheuse.

 « Il y a une tendance à la banalisation qui fait qu’il y a des gestes qui sont sous-rapportés. Il y a beaucoup de gens qui considèrent que ce n’est pas grave et oublient. Mais quand on pose des questions ouvertes, il y a des choses qui ressortent, d’où l’intérêt de mener des entretiens avec certaines personnes qui se sont portées volontaires. »

 L’enquête Sexualité, sécurité et interactions en milieu universitaire a été réalisée auprès de personnes issues de l’Université du Québec à Montréal, de l’Université de Montréal, de l’Université Laval, de l’Université de Sherbrooke, de l’Université du Québec à Chicoutimi et de l’Université du Québec en Outaouais.

Article paru dans le Devoir

crédits photo: Asli Cetin