Dans une déposition à la police rapportée par un ouvrage consacré au candidat républicain à la présidentielle américaine Donal Trump publié en 1993, son ex-femme Ivana (dont il divorce en 1992) utilise le terme « viol » pour qualifier certaines de leurs relations sexuelles. Si Ivana Trump s’est rattrapée, indiquant qu’elle ne souhaitait pas donner un sens criminel au terme « viol », l’avocat de Donald Trump, Michael Cohen, a fait cette déclaration quand le site américain The Daily Beast l’a interrogé sur l’attitude supposée de son client.
Malheureusement, le viol conjugal est particulièrement invisible et nié par beaucoup. Autre exemple, un important dirigeant français d’extrême droite écrivait sur son site en 2011 : « Quand je faisais mon droit, il n’y avait pas de viol entre époux. On en était resté à la sagesse traditionnelle selon laquelle le mariage comportait en principe, comme l’avait déclaré un sociologue, une exclusivité donnée par chaque époux à l’autre sur son corps. (…) il est beaucoup plus grave (et plus lourdement condamné) pour un homme de « violer » sa femme dans le lit conjugal où elle est entrée volontairement que de violer la femme d’un autre, inconnue agressée dans un parking ou un chemin sombre. On croit rêver… »
Face à ce type de déclarations, une survivante de viol conjugal témoigne.
« […] en tant que victime de violence, et en tant qu’amie de victimes de violences, je me dis que plus je serai silencieuse, plus certains s’octroieront le droit de faire ce genre de déclaration. Le genre qui dit aux victimes qu’elles sont deux fois coupables : coupables d’avoir été là au mauvais moment, et coupables de se plaindre. Qu’elles souffrent en silence ; leurs douleurs n’existent pas, leurs intégrités n’existent plus. Qu’elles crèvent en silence : elles ne sont pas complètement humaines, puisqu’on peut nier leurs paroles, leurs volontés et leurs corps. Et pour ma part, j’aimerais qu’on arrête deux minutes de nous insulter ainsi. C’est bien trop facile : on ne nous voit jamais. Facile de cracher sur une masse anonyme, facile même de laisser entendre qu’il y a pas de victimes finalement.
La prise de conscience
[…] Je vais contextualiser le plus simplement possible : je suis restée deux ans avec mon violeur. Notre première fois, ma première fois, a été un viol : j’ai dit non, et il m’a forcée. Mais je n’ai pas été en mesure de l’identifier ainsi à l’époque. J’ai cru que c’était ça, la norme. Contraindre. […] La première fois que j’ai couché avec un autre homme, quinze jours après avoir quitté mon violeur, ça a été une grande révélation Alors c’était ça le sexe. Ce n’était pas la peur, le malaise. On pouvait choisir. On pouvait être respectée. L’autre n’est pas obligé de vous faire plier, l’autre peut très bien entendre votre «non ».
[…] J’ai eu un gros débat avec moi-même : était-ce un viol ? J’avais toujours cette idée qu’une victime de viol se faisait forcément passer à tabac, qu’elle avait lutté de toutes ces forces. J’étais bien moins à plaindre que les personnes terrorisées, celles qui ont attendu que ça passe en tremblant pour leurs vies. Ça n’était pas mon cas. Mes viols étaient sans réelle violence physique. Ils étaient enrobés de tendresse et de douceur. Mais on peut agresser quelqu’un en lui chuchotant des mots doux en même temps : ça n’a rien d’incompatible. C’est de la manipulation psychologique : on perturbe suffisamment quelqu’un pour qu’il ne fasse plus la part des choses entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, pour qu’il associe naturellement viol et amour.
La perception du viol (conjugal) par la société
[…] J’en ai parlé autour de moi, très peu au début, et un peu plus par la suite. Certains amies n’ont pas eu envie de l’entendre. Elles ont été là, elles ont essayé de me changer les idées, elles m’ont fait rire et elle m’ont entourée d’énormément d’amour. Mais le sujet du viol en lui-même a été soigneusement évité, ou remis en cause. L’idée que je m’étais laissée faire, que j’avais fait preuve de faiblesse en n’étant pas capable de me défendre davantage est revenue dans plusieurs bouches. Et j’ai dû me battre pour qu’elles comprennent, parce que la plupart ont entendu mes mots mais n’ont pas identifié les actes comme étant un viol. Les euphémismes ont fait surface : elles disaient « il a dérapé », « il a forcé » ou « il a abusé ».
[…] Les filles ont été plus dures [que les garçons], et c’était terrible d’une certaine façon. Je crois que pour elles, le risque de viol était tout naturellement inhérent à notre statut de femmes, qu’à partir du moment où on sort, ou on voit des mecs, on se met en jeu. Les filles ont été plus brusques dans leurs mots : c’était arrivé mais ce n’était pas si grave, ça arrivait et il ne fallait pas s’y arrêter…
Mais ce genre de raisonnement, c’est faire l’autruche ; c’est nier le fait qu’un viol n’est pas un acte ordinaire. C’est abominable, et ça ne devrait pas arriver.
Il faut que ça change
[…] J’aimerais que cette mauvaise expérience serve. Si elle peut réveiller quelques consciences engourdies, elle aura eu le mérite de ne pas être inutile. Le viol conjugal touche une victime de viol sur deux [en France]. Il serait temps qu’on en parle. Il serait temps que les représentations évoluent. Par exemple, que les séries télé cessent de nous montrer une relation abusive comme une belle histoire d’amour (coucou Game of Thrones et la relation entre Drogo et Daenerys).
Réfléchir au viol conjugal, c’est réfléchir à la notion de consentement. Et c’est rappeler que le consentement, c’est quelque chose de sobre, de volontaire, permanent et non forcé. Tout le reste, c’est du viol. […] »
Pour lire l’intégralité du témoignage
Au Québec, près de 20% des victimes d’agression sexuelle de plus de 18 ans l’ont été par un conjoint, un ex-conjoint ou un ami intime (Ministère de la sécurité publique, Faits saillants. 2013)
Un autre témoignage, en bande-dessiné (en anglais) : The morning after I was raped, I made my rapist breakfast.