Moi, Luisa, battue et sans statut

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Pour Luisa*, l’année 2007, celle de son arrivée comme réfugiée au Canada, aura été marquante. Dans tous les sens du terme. Sur les bras, au visage, tout juste au-dessus de l’oeil droit, cette jeune Mexicaine a des cicatrices qui lui rappellent son calvaire.« J’essaie de bien placer mes cheveux pour les cacher », dit-elle, en baissant légèrement le regard.

Sous l’emprise d’un mari agressif et jaloux, Luisa connaissait déjà l’enfer de la violence avant de quitter son pays d’origine. Isolée de tout, elle était forcée de rester à la maison avec ses deux enfants. Jusqu’à ce que son mari, prétextant que la famille était en danger et persécutée, décide de s’enfuir au Canada pour demander le statut de réfugié. « Moi, je ne voulais pas. À l’aéroport, je me disais : « Mais qu’est-ce que je vais faire ici ? » J’étais encore plus seule, loin de mon pays et de ma famille », explique-t-elle.

Pendant quatre ans, pire qu’une sans-statut, elle n’a été qu’une ombre. Elle ne pouvait pas parler ni même sourire aux voisins de son immeuble. Encore moins sortir seule.

 Lorsqu’elle l’accompagnait en voiture, son mari la forçait à garder la tête baissée.« J’en avais mal au cou », raconte-t-elle. Dans un climat quotidien de terreur psychologique, Luisa se faisait abreuver d’insultes et de menaces, elle était régulièrement frappée, avait des relations sexuelles contre son gré.

 À quelques reprises durant ces quatre années, elle a quitté son appartement pour se réfugier dans des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. La première fois, à la suite d’un épisode violent, elle a demandé à son fils d’appeler le 911.

La police est venue mais, terrorisée, Luisa a refusé de porter plainte. Son mari a été arrêté, mais relâché 24 heures plus tard. Après quelques jours de répit dans une maison d’hébergement, elle est rentrée chez elle avec ses enfants. « Je dépendais de lui. Et il me disait que c’était ma faute, tout ce qui arrivait. Je me disais : « Pauvre lui, il ne mérite pas ça. » »

La deuxième fois qu’elle s’est enfuie, Luisa est revenue chez elle au bout de deux semaines, tétanisée par la peur. « Il me disait qu’il allait me trouver et tuer mes enfants si je ne revenais pas. » Il y a eu une troisième fois, puis d’autres. Elle a changé plusieurs fois de maisons d’hébergement, dont deux fois parce que son mari fou était parvenu à découvrir où elle était. « Il me disait toujours qu’il pouvait me retrouver n’importe où. Une fois où je m’étais cachée chez une nouvelle amie qu’il ne connaissait pas, je ne sais pas comment il a fait, mais il m’a retrouvée. »

 Peur et instabilité

Après chaque déménagement, ses enfants changeaient d’école. Pour plus de stabilité, son agresseur, en habile manipulateur, l’avait convaincue de revenir s’installer dans l’appartement familial, affirmant que c’était lui qui allait partir vivre ailleurs. Promesse jamais tenue. Jusqu’à ce fameux jour d’automne qui marqua à jamais sa mémoire. Et son visage. « On revenait de l’église et il était furieux. Il disait que j’avais regardé d’autres hommes », raconte la jeune trentenaire. Il a attrapé un vase qu’il lui a lancé au visage.

 La demande d’asile de Luisa et de son mari ayant été refusée, ainsi que l’appel qu’ils avaient déposé, tous leurs recours étaient épuisés. Ils étaient sans papiers. La jeune maman ne voyait pas comment elle pouvait quitter son mari, vivre en mère célibataire, sans statut, sans revenu et ne parlant ni français ni anglais. Mais elle n’en pouvait plus.

« J’ai pris deux-trois affaires et la police m’a accompagnée jusqu’à l’école pour aller chercher mes enfants. C’était terminé. » Une maison d’hébergement, la première où elle s’était réfugiée quelques années auparavant, l’a accueillie à bras ouverts.

 On l’a aidée à déposer une demande de résidence pour motifs humanitaires, l’ultime recours. Luisa se souvient d’une audience en particulier dans les bureaux de l’Immigration, audience qu’elle a encore sur le coeur.

 « J’avais ma blessure au visage, une grande ligne de points de suture. Mon avocat et les intervenants avaient tous plaidé en ma faveur, mais l’agent de l’Immigration a dit : « Qu’est-ce qui me prouve qu’elle ne ment pas sur sa situation pour pouvoir rester au pays ? » »

 La résidence de Luisa et de ses deux enfants a finalement été acceptée. L’aide sociale et l’allocation pour ses enfants lui ont permis de trouver un petit appartement.

 Son tortionnaire devenu « ex », qu’une ordonnance de la cour empêchait de s’approcher de sa famille, a été expulsé du pays peu de temps après.

D’abord grâce à une plainte pour voies de fait déposée par un travailleur qu’il avait agressé, et surtout grâce à une plainte pour violence conjugale de Luisa.

 Une plainte déposée un jour dans un élan de courage et que, cette fois, elle n’a jamais consenti à retirer.

 * Certains noms et détails de l’histoire ont été changés pour préserver la confidentialité des personnes concernées.

Article paru dans Le Devoir

crédits photo: Istock