L’éducation sexuelle serait bientôt de retour dans nos écoles

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Article paru dans Le Devoir – Dans le collimateur depuis maintenant deux ans, le projet pilote annoncé cette semaine est on ne se peut plus ambigu. « On ne sait pas d’où ça sort, quelles écoles seront touchées et qui se portera volontaire », dit le président de la Fédération autonome de l’enseignement, Sylvain Mallette, précisant que la FAE a dû se battre pour être admise à la table de concertation. Le plus étonnant dans tout ça ? La formule proposée : de 5 à 15 heures de « capsules d’information », saupoudrées ici et là, dépendant du bon vouloir des profs suffisamment braves pour interrompre leur cours de grammaire, de mathématiques, d’histoire… pour faire une petite incursion du côté des ovules et des spermatozoïdes. Et maintenant, les amis, si on appliquait la règle de trois à la sexualité humaine ? Si a est hétéro, b est gai et c est, disons, indécis, qu’est-ce qu’on en déduit ? Attention, les jeunes, la sexualité, ce n’est pas comme la grammaire ! Le masculin ne l’emporte pas sur le féminin. En tout cas, ça se négocie.

Il faut avoir un petit côté Woody Allen pour savoir se dépêtrer dans le modèle proposé par le ministère de l’Éducation. Sylvain Mallette, lui, parle plutôt « d’incompétence dans le domaine de l’intime ». Si la FAE applaudit à l’idée du retour d’un cours d’éducation sexuelle obligatoire, les enseignants espéraient voir un cours en bonne et due forme, donné par des gens formés — « On ne joue pas aux apprentis sorciers avec l’identité humaine », dit le président — et appuyés, en plus, par des ressources extérieures, infirmières, psychologues, sexologues. « En ce moment, si un enfant me parle d’avoir été victime de violence sexuelle, explique M. Mallette, j’ai 18 mois d’attente avant d’avoir la visite d’une infirmière du CLSC. »

Mais pourquoi avoir éliminé l’éducation sexuelle en premier lieu ? Peu de matières ont des ramifications aussi profondes, après tout. Il ne s’agit pas seulement d’une clé de voûte du développement personnel, mais aussi de la santé publique, de l’intégration immigrante et, non la moindre, de l’égalité hommes-femmes. Les pressions subies par le ministère pour réintégrer l’éducation sexuelle à l’école sont d’ailleurs largement attribuables à la prolifération de la pornographie. Quand des ados sont à se demander s’ils doivent, lors de leur première expérience sexuelle, « faire les trois trous » ou encore « éjaculer dans le visage de leur partenaire », il est temps de prendre le taureau par les cornes.

L’élimination de l’éducation sexuelle en classe date de 2001, au moment de la redoutée réforme de l’éducation, celle qui fait aujourd’hui encore grincer des dents. On ne dira jamais assez comment ce virage ambulatoire du milieu de l’enseignement a été un gâchis inimaginable. Du jour au lendemain, on est passé de la maîtrise de connaissances communes, un apprentissage qui se mesure, à l’obtention de« compétences », un apprentissage qui ne se comptabilise pas. Au nom de « ne pas faire vivre d’échecs aux élèves », on a mis fin au redoublement et aux bulletins chiffrés. Dans ce nouveau royaume de l’apprentissage par soi-même — « où tout le monde est censé s’occuper de tout et le matériel est inexistant », précise le président de la FAE — l’éducation sexuelle s’est éparpillée, et finalement perdue.

Citant l’ouvrage d’Angélique del Rey, À l’école des compétences, Sylvain Mallette explique que, loin d’être le seul à adopter ce programme, le Québec est l’endroit où on a poussé le « socioconstructivisme » le plus loin. Résultats ? Un taux d’échec effarant.« On voit des élèves de 2e secondaire qui n’ont jamais maîtrisé la matière de 4e année », dit le leader syndical. L’éducation des adultes connaît aussi « une explosion d’élèves de 16-20 ans » — ils sont aujourd’hui 50 % desdits adultes —, les conséquences d’un système voulant « fabriquer des élèves performants » plutôt que former le citoyen de demain. À noter que ce sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international qui sont à l’origine de ce virage éducationnel inspiré de l’entreprise privée.

« Le droit à l’ignorance n’existe pas », affirmait cette semaine le ministre de l’Éducation, François Blais. Bien dit. Mais encore faudrait-il que le contenu pédagogique lui-même, pas seulement les cours d’éducation sexuelle, s’en porte garant.

Lien vers l’article du Devoir, écrit par Francine Pelletier