HLM, déménagements gratuits, médiatrices : comment les autres pays luttent-ils contre les violences conjugales ?

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Au début de l’été, Libération publiait une longue enquête sur les violences conjugales. A partir d’articles de presse locale et nationale, l’article documentait les cas de 220 femmes tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint ces trois dernières années, dans l’indifférence. Y étaient notamment évoquées les solutions mises en place pour faire diminuer le nombre de ces décès. Parmi ces solutions, la mesure d’accompagnement protégé (MAP), qui vise à éviter le passage à l’acte du conjoint violent en encadrant le droit de visite du père sur ses enfants. Le dispositif, expérimenté pour l’instant en Seine-Saint-Denis, a été importé de Suède. Et ailleurs, comment nos voisins tentent-ils d’endiguer le phénomène des violences conjugales ? Des mobilisations militantes aux initiatives individuelles en passant par les politiques publiques, Libération a recensé quelques actions qui pourraient inspirer associations et pouvoirs publics français.

Belgique : à Bruxelles, des logements sociaux réservés aux victimes

Comment permettre aux femmes en détresse de se reloger de manière durable et à un prix raisonnable ? La région bruxelloise a décidé de réserver des logements sociaux aux femmes victimes de violences conjugales, ainsi qu’aux femmes victimes de violences intrafamiliales, comme les mariages forcés. Un quota annuel de 3%, calculé sur le nombre des nouvelles attributions de HLM au cours de l’année précédente, a été mis en place dans la capitale belge. Les logements sont attribués sous conditions de ressources, comme pour les HLM traditionnels, sauf que l’attente avant une attribution est moins longue. Les locataires doivent aussi avoir effectué un séjour en maison d’accueil, ce qui garantit «une prise en charge psychosociale adéquate de la victime préalablement à son relogement», explique à Libération Kathrine Jacobs, responsable presse de la ministre bruxelloise de l’Environnement et du Logement Céline Fremault, à l’initiative de la mesure. Près de cinquante conventions ont été conclues cette année entre des maisons d’accueil et les bailleurs, selon le quotidien la Dernière Heure. Une soixantaine de logements ont été réservés, selon le ministère, qui précise qu’en tout, une centaine de personnes auraient bénéficié du dispositif depuis sa mise en route, à la fin de l’année 2015.

Espagne : un milliard d’euros pour lutter contre les violences sexistes

Fin juillet, le secrétariat d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes français voyait ses crédits amputés de 7,5 millions d’euros. Au même moment, les députés espagnols adoptaient à l’unanimité un pacte contre les violences faites aux femmes. Un texte «sans précédent», analyse Laetitia César-Franquet, auteure d’une thèse sur la lutte contre les violences de genre en Espagne et en France et formatrice à l’Institut régional des travailleurs sociaux (IRTS) de Nouvelle-Aquitaine, notamment en raison de son financement «colossal» : 200 millions d’euros vont être débloqués tous les ans pendant cinq ans, à la fois par les mairies, les régions, et l’Etat. Parmi les 200 mesures prévues, plusieurs figurent déjà dans la loi intégrale de 2004, pionnière mais peu appliquée faute de moyens, détaille la sociologue à Libération. Le pacte prévoit notamment le renforcement de la formation des professionnels de santé pour mieux détecter les violences ainsi que plusieurs mesures à destination des jeunes femmes. Les étudiantes boursières victimes de violences pourront par exemple conserver leur bourse en cas d’échec à leurs examens. Le texte réaffirme également l’interdiction pour un conjoint violent de conserver la garde de ses enfants et celle, pour les enfants mineurs, de rendre visite à leur père en prison – ce qui n’est pas le cas en France.

Depuis le début de l’année, environ une trentaine de femmes ont été tuées par leur conjoint en Espagne, soit environ trois fois moins qu’en France. Pourtant, la presse espagnole se mobilise régulièrement pour dénoncer ces meurtres. «Les médias sont sensibilisés à cette question depuis déjà plusieurs années, rappelle Laetitia César-Franquet. Les articles mentionnent par exemple souvent le 016 [le numéro d’écoute dédié aux victimes, équivalent de notre 3919, ndlr], alors qu’en France, c’est loin d’être un automatisme.» En février, le gratuit 20 minutosqualifiait sur sa une les féminicides d’«urgence nationale».

Madagascar : un numéro d’écoute pour les conjoints violents

Comment prendre en charge les auteurs de violences conjugales et les aider à sortir de la violence ? Un service d’écoute, très novateur, a été créé il y a quelques mois à Madagascar, grâce au projet «Sahala», financé par l’Union européenne et initié par l’ONG C-For-C (Capacity Building for Communities Madagascar). Une vingtaine d’accompagnateurs sociaux ont été formés spécialement pour recueillir la parole des conjoints violents, rapporte la presse locale. «Il ne s’agit pas de trouver le coupable mais plutôt d’aider les auteurs de ces actes de violence à changer de comportement», afin d’éviter les récidives, y explique Vololoniaina Razaka, consultante de l’ONG C-For-C, qui ne précise cependant pas comment cet accompagnement peut s’ajouter ou se substituer aux éventuelles poursuites judiciaires. D’après une enquête menée récemment sur 200 ménages de la capitale, 70% des hommes se montrent violents et agressifs à l’égard de leur conjointe. Une maltraitance totalement intégrée par les femmes : 7 femmes sur 10 estiment que «l’homme a le droit d’exercer une violence quelconque dans son foyer, en tant que chef de famille».

Argentine : une campagne contre les violences pour la Saint-Valentin

«El amor no duelo» («L’amour ne fait pas mal») : le gouvernement argentin a choisi la date symbolique du 14 février pour diffuser une campagne de sensibilisation aux violences dans le couple. Le spot identifie les comportements «contrôlants» qui peuvent être le signe d’une relation violente («s’il te dit comment t’habiller», «s’il t’éloigne de tes amis», «s’il t’insulte»…), détaille le quotidien Clarín. L’action a été menée dans le cadre d’un plan national contre la violence de genre réclamé par le mouvement citoyen «Ni Una Menos» («Pas une de moins»), mais insuffisamment financé, selon les associations. Depuis 2015, plusieurs mobilisations massives ont eu lieu dans le pays et dans le reste de l’Amérique latine, pour réclamer la fin des violences sexistes mais aussi l’égalité professionnelle ou le droit à l’IVG, interdit dans le pays.

Mais dans la société argentine fortement marquée par le machisme, la prise de conscience est lente, et les femmes sont encore nombreuses (un tiers selon une enquête menée récemment à Buenos Aires) à considérer que les violences domestiques relèvent de la sphère privée. Comme plusieurs de ses voisins, l’Argentine a pourtant, en 2012, inscrit dans son code pénal le féminicide, meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme (pas uniquement dans le cadre conjugal), comme circonstance aggravante d’un crime. 254 femmes en ont été victimes en 2016. Dans 6 cas sur 10, l’auteur était le conjoint de la victime.

Canada : dans l’Ontario, une prise en charge des animaux

Que faire de son animal lorsque l’on veut fuir son domicile ? Le fait d’avoir un chat ou un chien, rarement acceptés dans les centres d’hébergement, peut empêcher les femmes victimes de violences conjugales de partir. Une étude menée en 1998 dans la province canadienne de l’Ontario a également montré que les femmes pouvaient rester avec leur conjoint violent de peur que leur animal domestique soit maltraité après leur départ. Un programme a donc été créé à Ottawa pour leur offrir un refuge temporaire dans une famille d’accueil volontaire, le temps du séjour de la victime, et éventuellement de ses enfants, dans un foyer. Les animaux sont ensuite rendus une fois que la femme prend son indépendance, explique à Libération Ayala Sher, présidente de SafePet Ottawa. L’accueil au sein d’une famille est moins «traumatisant pour l’animal» qu’un placement en refuge, estime-t-elle. «Cela rend la transition de la famille d’accueil à la maîtresse bien plus facile pour elle et pour l’animal.» SafePet collabore à la fois avec des associations de lutte contre les violences faites aux femmes et de défense des animaux, ainsi qu’avec des cliniques vétérinaires et un spécialiste du comportement animal, pour aider les bénévoles à accueillir au mieux les animaux maltraités. Une centaine d’animaux ont été pris en charge depuis le début du programme, en 2014.

Inde : des médiatrices pour repérer les violences dans les zones rurales

En Inde, l’écrasante majorité des agents de police sont des hommes. Résultat, les femmes osent rarement déclarer un acte de violence domestique ou sexuelle et se retrouvent réduites au silence. Pour servir d’intermédiaires avec les victimes, des médiatrices ont été recrutées par la police dans le district de Kushinagar, explique le quotidien The Hindu.

Dans cette région rurale, située dans l’Etat de l’Uttar Pradesh, le plus peuplé d’Inde, les violences contre les femmes sont en augmentation. Une soixantaine de femmes, âgées de 25 à 60 ans et spécifiquement formées par une ONG, font le tour des villages pour repérer les éventuels cas de violences. Surnommées «amies de la police», ces bénévoles ont souvent elles-mêmes vécu des situations similaires. Une fois par mois, elles se réunissent dans un commissariat voisin, uniquement géré par des femmes, pour faire remonter les infractions. Leur travail de terrain a participé à recréer un lien entre la police et la communauté : les médiatrices «ont participé à réduire le déficit de confiance [des femmes vis-à-vis de la police] et ont rendu les commissariats plus accessibles aux femmes», saluait l’année dernière Deepak Bhatt, commissaire du district. Selon une ONG suisse, au moins une femme sur trois est victime de violences conjugales en Inde.

Etats-Unis : en Californie, des déménagements gratuits pour les femmes victimes

Aaron et Evan Steed sont encore au lycée quand ils lancent leur entreprise de déménagement en Californie. Rapidement, ils reçoivent des appels téléphoniques de femmes, cherchant de l’aide pour déménager en urgence et fuir leur conjoint violent. «Une fois, j’ai décroché notre téléphone, et une femme m’a dit : « Mon copain rentre à la maison, je dois partir, je dois partir maintenant ! Pouvez-vous m’aider ? » C’était une situation d’urgence, donc nous avons accepté et nous ne lui avons rien fait payer», raconte l’un des deux frères sur le site de France 24. En 2001, Meathead Movers signe son premier partenariat avec un centre d’accueil pour femmes victimes de violences. Sept autres suivront. «Ces établissements vérifient la situation des personnes avant que nous intervenions. Nous apportons temporairement leurs affaires dans cet abri, et on les aide ensuite à déménager vers le nouveau domicile», explique le cofondateur de l’entreprise, basée à San Luis Obispo. L’entreprise, qui assure en parallèle des déménagements payants de clients souhaitant soutenir la cause, a créé un mouvement, MovetoendDV, pour encourager d’autres firmes à proposer gratuitement des biens ou services aux victimes de violences.

Ailleurs aux Etats-Unis : les coiffeurs et professionnels de la beauté de l’Illinois reçoivent une (courte) formation pour repérer les signes de violences conjugales et sexuelles, relayait Libé l’année dernière.

Et ailleurs dans le monde :

En Tunisie, une loi contre la violence faite aux femmes adoptée cet été élargit la circonstance aggravante, qui ne s’appliquait auparavant qu’aux conjoints mariés, aux fiancés et aux ex-époux (Jeune Afrique).

En Turquie, une application permet de prévenir les services de police ou de secours en cas de violences conjugales en secouant son mobile (Huffington Post).

En Russie, une tatoueuse camoufle gratuitement les cicatrices des femmes victimes de violences conjugales (Mashable).

En Afghanistan, un restaurant de Kaboul est tenu uniquement par des femmes victimes de violences, un moyen pour elle de se réinsérer. (RFI)

Au Bangladesh, une marque d’huile capillaire sensibilise dans une publicité aux violences entre conjoints, montrant que les cheveux des femmes peuvent devenir un instrument de torture (RFI).

Paru dans Libération.fr

crédits photo : PEDRO PARDO. AFP