Les femmes locataires montent au front

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« Le monde ne veut pas louer aux gens sur l’aide sociale, même si notre crédit est bon et que nous ne causons pas de problème. En plus, certains ne se gênent pas pour dire qu’ils ne veulent pas d’enfants, car c’est bruyant. C’était difficile de trouver un logement bien. La seule chose que j’ai trouvée était un logement insalubre », explique la Sherbrookoise, ajoutant que le plafond du taudis où elle habitait était en train de lui tomber sur la tête, des coulisses brunâtres décoraient les murs, la porte d’entrée ouvrait toute seule quand il y avait de grands vents, les fenêtres s’ouvraient de l’extérieur et des insectes cohabitaient avec elle et sa fille.

« On ne se sentait pas en sécurité », se souvient Mme Marchand qui, même si sa situation s’est améliorée depuis, tenait à manifester, mardi, pour une plus grande accessibilité aux logements sociaux. Le rassemblement était organisé dans le cadre de la semaine d’actions prévues à travers le Québec pour revendiquer plus de logements sociaux et mettre en lumière le fait qu’il existe plusieurs endroits où ces logements pourraient être construits si la volonté politique y était. Mme Marchand était accompagnée de membres de l’Association des locataires de Sherbrooke (ALS), du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et de ConcertAction Femmes Estrie.

Réalité différente

« Aujourd’hui, on parle spécifiquement de la réalité des femmes et du logement, souligne l’organisatrice communautaire du FRAPRU Émilie Joly. On parle souvent de la pauvreté des femmes qui gagnent moins que les hommes lorsqu’elles travaillent, qui prennent davantage de congés pour les enfants et qui sont plus souvent des aidantes naturelles. Ce sont des femmes qui sont en grande majorité locataires et le logement social répondrait à leur besoin de se loger dans des conditions décentes. D’ailleurs sur les 39 200 noms sur la liste d’attente pour un logement social au Québec, 60 pour cent sont des femmes. »

L’accent au logement social permettrait de contrer le problème d’itinérance chez les femmes, un phénomène grandissant à Sherbrooke comme dans l’ensemble du Canada, souligne Marie-Ève Rheault, de ConcertAction Femmes Estrie.

« On les voit peu dans les rues les femmes itinérantes, car elles trouvent souvent des solutions comme offrir des services, souvent sexuels, en échange d’un toit. Car perdre leur logement signifie souvent perdre la garde de leurs enfants. On veut que ces femmes aient accès à un logis », mentionne Mme Rheault ajoutant que les femmes locataires sont parfois victime de harcèlement sexuel de la part des propriétaires, gérants d’immeubles ou concierge.

« La difficulté à payer son logement peut avoir des conséquences. On a déjà eu un témoignage qui disait qu’un propriétaire avait dit à une femme qui avait un retard de quelques jours sur son loyer qu’il ne la déclarera pas à la Régie du logement si elle lui faisait des faveurs sexuelles », donne en exemple Mme Joly.

L’ALS, qui occupait le terrain situé au 700, rue Woodward lundi, a déplacé ses tentes sur la rue Pacifique pour sensibiliser les gens d’un autre secteur de Sherbrooke à la cause du logement social.

Une marge de manoeuvre qui rétrécit

À Sherbrooke, le coût moyen d’un appartement, toutes grandeurs confondues, est de 612 $ par mois, rien d’inclus, sur le marché privé, selon le rapport de la Société canadienne d’hypothèques et de logement datant d’octobre 2016 (voir le tableau ci-dessous).

Si on compare ce loyer moyen au chèque d’aide sociale en 2017, qui varie selon les situations entre 628 $ et 1201 $, on peut conclure que les assistés sociaux n’ont pas de marge de manoeuvre.

Par exemple, une personne seule qui reçoit 628 $ d’aide sociale et qui voudrait vivre dans un logement avec une chambre, au coût minimum de 437 $ dans l’arrondissement de Brompton, aurait donc 191 $ de disponible pour subvenir à ses autres besoins (chauffage, épicerie, bus).

Toujours à Sherbrooke, les logements sociaux comptent 1810 portes, soit 652 dans des HLM et la balance dans des coopératives ou des OSBL. « Cela signifie que ces locataires paient 25 pour cent de leur revenu en loyer et que le restant est couvert par des subventions », explique Normand Couture qui estime que ce nombre est largement insuffisant puisque encore 6105 ménages sherbrookois déboursent plus de 50 pour cent de leur revenu pour se loger, selon les dernières données disponibles de Statistique Canada (2011).

Le nombre de ménages sherbrookois déboursant plus de 50 pour cent de leur revenu pour se loger est en hausse. En 1981, ils étaient 3515, soit 15,8 pour cent des locataires. Ils étaient 5615 en 2006, soit 16,9 pour cent. Et en 2011, les 6105 ménages représentent 18,1 pour cent de l’ensemble des ménages locataires.

Si on isole les données qui concernent les femmes, ce sont 3320 Sherbrookoises (sur les 6105, dont 54 pour cent) qui paient plus de la moitié de leur revenu en logement.

Paru dans La Presse

crédits photo: Spectre Média, Jessica Garneau