Les femmes sur la ligne de front de l’austérité

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Selon Lucie Martineau, présidente du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), et Carolle Dubé, présidente de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), la réponse est oui. Une réponse d’ailleurs confirmée par une étude publiée en février 2015 par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS).

 « Ce qu’il faut d’abord réaliser, c’est que la grande majorité de la main-d’oeuvre de la fonction publique est féminine, souligne Lucie Martineau. Dans l’ensemble de la fonction publique, ce chiffre s’établit à 68 % de la main-d’oeuvre et dans certains secteurs, comme la santé et l’éducation, ce chiffre grimpe aisément à 75 %. Donc, lorsque le gouvernement fait des coupures dans les ministères et les organismes, c’est avant tout la main-d’oeuvre féminine qui écope. » Même son de cloche de la part de Carole Dubé. « À l’APTS, dans le secteur de la santé et des services sociaux, les femmes représentent 87 % de nos membres. »

 Les compressions dans les ministères et organismes, outre la réduction de personnel que cela entraîne, affecte le travail des femmes de différentes façons, d’abord en augmentant la précarité. « Il y a le cas des faux occasionnels, poursuit Lucie Martineau, qui travaillent à temps plein et ont donc les mêmes responsabilités que les autres employés, mais qui ne jouissent pas de la sécurité d’emploi que connaissent les travailleurs permanents. Les mesures d’austérité n’aident pas à régler ce problème. »Et la réduction de personnel a des conséquences sur celles qui restent, selon Lucie Martineau. « Il y a une surcharge de travail évidente et le temps supplémentaire augmente. »

 Les mesures d’austérité ont aussi eu un impact sur les clauses non pécuniaires. « Il était autrefois assez facile d’obtenir des aménagements au temps de travail ou des congés sans solde, que les femmes prenaient essentiellement pour des raisons familiales, explique Lucie Martineau. Aujourd’hui, à cause des mesures d’austérité, cette option est devenue presque impossible. »

 Doublement pénalisées

 Les deux femmes s’entendent pour dire que les mesures d’austérité pénalisent doublement les femmes, d’abord comme travailleuses, mais ensuite comme utilisatrices. « Quand l’on coupe dans les programmes et les services offerts à la population, comme l’aide aux devoirs, par exemple, ce sont les femmes qui se retrouvent aux prises avec le problème », explique Lucie Martineau. Et Carolle Dubé de rajouter : « C’est particulièrement vrai dans le milieu communautaire, où les mesures d’austérité ont aussi un double effet. Puisque ce sont les femmes qui travaillent majoritairement dans le milieu communautaire, les compressions les touchent d’une part en tant que travailleuses. Mais ce sont aussi les femmes qui utilisent majoritairement les services offerts par le milieu communautaire, et les mesures d’austérité les pénalisent alors aussi comme utilisatrices. Au fond, les mesures d’austérité nous pénalisent doublement. »

 Doublement pénalisées et nullement récompensées, pourrait-on ajouter. C’est du moins ce que conclut l’étude de l’IRIS, qui s’étend sur la période de 2008 à 2014. Selon cette étude, les premières mesures d’austérité remontent à 2012, sous le gouvernement Marois, et se poursuivent encore aujourd’hui. Selon les chiffres de l’IRIS, pendant cette période, les femmes ont subi des compressions de 3,5 milliards de dollars de plus que les hommes. De plus, l’IRIS s’est penché sur les mesures de relance économique mises en place durant cette même période pour constater que la majeure partie du programme de relance s’est produite du côté des infrastructures, un secteur où domine la main-d’oeuvre masculine. Si les hommes ont profité de 7,2 milliards de dollars de mesure de relance, les femmes n’en ont eu que pour 3,5 milliards de dollars. Elles ont donc subi les contrecoups de l’austérité sans profiter pleinement des mesures de relance.

 Dures négociations

 Les récentes négociations pour renouveler les conventions collectives dans le secteur public se sont révélées plutôt dures, selon Carolle Dubé. « Le gouvernement était plutôt rigide et ne semblait pas tellement à l’écoute. Il semblait avoir davantage de souplesse lorsqu’il s’agissait de la main-d’oeuvre masculine, par exemple les médecins. On aurait aimé que le gouvernement montre plus d’ouverture. Et même si, au final, on a réussi à le faire reculer sur ses nombreuses demandes non pécuniaires et à maintenir un certain pouvoir d’achat sur le côté salarial, ce furent des négociations que l’on peut qualifier d’ardues. »

 Pour la suite des choses

 Le gouvernement Couillard, qui amorce la seconde partie de son mandat, a choisi de recentrer son action et de passer de l’austérité au réinvestissement. À quoi s’attendre ?« L’une de nos attentes, et c’est même l’une de nos demandes, précise Lucie Martineau, c’est qu’à l’avenir, toute révision, toute évaluation, tout abandon ou toute création d’un programme fasse l’objet d’une analyse différentielle selon le sexe, de sorte à savoir quels seront les impacts réels sur les femmes. »

 Pour Carolle Dubé, il faut espérer que le gouvernement fasse maintenant les bons choix. « Le gouvernement a parlé d’affecter les surplus budgétaires à la baisse des impôts et au remboursement de la dette. Mais, s’il y a une vraie marge de manoeuvre financière, le gouvernement devrait plutôt réinvestir dans le secteur public, en particulier dans les services à la population. Il est temps que ce gouvernement effectue un réel virage et reconnaisse qu’investir dans les services publics améliore, non seulement les conditions de vie des femmes, mais aussi, par conséquent, celles des familles. Ainsi, toute la population en profite. »

Article paru dans Le Devoir

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