Le féminisme, toujours aussi pertinent

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Le 8 mars, c’est la journée pour faire une pause. C’est aussi le moment de dresser un bilan de l’année écoulée et de définir ce qu’on voudrait changer à l’avenir. Pourtant, cette année au Québec, les raisons de fêter la Journée internationale des femmes se font rares : la violence faite aux femmes autochtones, les interminables négociations dans le secteur public qui ont accouché d’ententes de principe pas encore toutes entérinées, la baisse des subventions aux CPE… En contrepartie, ces événements ont suscité une vaste mobilisation dans les milieux syndicaux et féministes. La marche mondiale des femmes en 2015 en est le plus bel exemple.

 Le gouvernement répondra-t-il à cet « appel à toutes pour se faire entendre », le thème de la Journée choisi par le Collectif 8 mars ? Il y aura bel et bien une rencontre le 7 mars avec Lise Thériault, la ministre de la Condition féminine, mais le bureau du premier ministre a fait savoir au Collectif que Philippe Couillard serait à l’extérieur du pays. Quant aux ministres de la Famille et du Travail, ils ont tous deux décliné l’invitation.

 Durs reculs

 « C’est difficile depuis l’élection de ce gouvernement, on n’y voit plus clair du tout », lance Mélanie Sarazin, qui est depuis septembre dernier la nouvelle présidente de la Fédération des femmes du Québec. Pourtant, elle affirme que le milieu communautaire féministe tente de s’encourager, « parce que si on ne voit que du noir, ça devient difficile de concentrer nos énergies », ajoute-t-elle.

 Parmi les points positifs de l’année écoulée, elle ne manque pas de mentionner la 4e action internationale de la Marche mondiale des femmes (MMF), qui s’est déroulée du 8 mars au 17 octobre 2015 dans plus de 50 pays et territoires. Les actions de la MMF visent à atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes, entre les femmes elles-mêmes et entre les peuples. En 2015, les femmes de la MMF au Québec se sont mobilisées sous le thème « Libérons nos corps, notre Terre et nos territoires », et, selon le site Web du mouvement, « portées par les réflexions sur les liens étroits qui existent entre l’accaparement de la nature, l’appropriation des revenus et des droits des travailleuses, le contrôle du corps et de la vie des femmes et l’augmentation de la militarisation, de la criminalisation des luttes et de la violence envers les femmes, elles mettent en oeuvre des actions pour rendre visible les différentes formes de résistance, de dénonciation et les alternatives qu’elles développent pour transformer le monde dans lequel nous vivons ».

 Mélanie Sarazin souligne aussi parmi les points positifs de l’année 2015, l’élection au Canada de Justin Trudeau, qui se définit lui-même comme étant féministe. « De plus, il remplit plusieurs de ses engagements, entre autres l’enquête sur les femmes autochtones qui est pour nous une grande victoire. »

 Toutefois, difficile pour la présidente de la FFQ de faire abstraction de ce qu’elle appelle la déresponsabilisation du gouvernement du Québec qui « fait en sorte que maintenant, l’égalité, elle n’est plus garantie ». Sans parler de toutes ces mesures d’austérité qui font que ce sont les femmes qui écopent.

 Même son de cloche de la part de Louise Michaud qui depuis quatre ans est vice-présidente représentant les femmes à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la FTQ : « Depuis les dernières années, on ne vit que du recul dans le droit des femmes. On n’a qu’à penser à l’offre de compromis sur le financement des CPE. Je me souviens bien que le gouvernement Couillard avait dit en campagne qu’il ne toucherait pas aux services de garde. » Mélanie Sarazin renchérit : « Au départ, les CPE devaient subir des coupes de 120 millions, mais l’entente qui vient d’être signée n’est qu’un réinvestissement de 60 millions. On n’a rien gagné, on vient de perdre encore ! »

 « Appel à toutes pour se faire entendre »

 Au Collectif 8 mars, composé de la FFQ, du comité sur la condition féminine de la CSN, de la FTQ et de l’Intersyndicale des femmes, on se prépare à la rencontre du 7 mars prochain avec la ministre Lise Thériault. « On va lui rappeler qu’on s’attend d’elle à ce qu’elle défende les intérêts des femmes, bien évidemment, mais on va aussi apporter certaines revendications par rapport à l’analyse différenciée selon les sexes, l’ADS, qui n’est pas vraiment appliquée par le gouvernement. Donc, quand le gouvernement met en place des programmes ou des politiques, il ne connaît pas en fait les conséquences que ceux-ci pourraient avoir sur les femmes. »

 Rappelons que le gouvernement s’était engagé à appliquer l’analyse différenciée. Un bilan de sa mise en oeuvre vient tout juste d’être publié en novembre 2015 par le Secrétariat à la condition féminine. Il conclut que « finalement, bien que des pas de géant aient été franchis au Québec dans les dernières décennies pour l’égalité entre les femmes et les hommes, des inégalités préoccupantes persistent dans certains domaines et auprès de différents groupes, comme les femmes autochtones, immigrantes, âgées, handicapées, de minorités sexuelles, celles vivant avec un faible revenu ou dans une région éloignée. Devant ces réalités, l’application de l’ADS pourrait s’avérer une perspective à considérer ».

 Quand on demande à Manon Therrien, deuxième vice-présidente du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec, ce qu’elle aurait à dire à la ministre, elle répète elle aussi qu’il faut « faire comprendre aux ministres, autant aux hommes qu’aux femmes, que l’ADS est nécessaire pour prendre les bonnes décisions. C’est vrai que ce n’est jamais facile, mais il y a des méthodes qui permettent de vraiment mettre ça en lumière et de poser les actions en conséquence pour une politique et un Québec plus égalitaires. »

 « Toutes les activités qui auront lieu le 8 mars sont là pour rappeler à quel point les luttes féministes sont importantes. On vit dans une société patriarcale, colonialiste, capitaliste et avec cette maudite logique néolibérale des mesures d’austérité et c’est là que le féminisme prend son sens contre ça », rappelle Mélanie Sarazin. Pour la féministe, il est primordial de continuer à se mobiliser et à construire une lutte forte pour finalement porter un projet féministe de la société à l’image des valeurs de la marche mondiale des femmes.

Article paru dans Le Devoir

crédit photo: Pedro Ruiz