Femmes immigrantes: une règle sur le parrainage bientôt annulée

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Le gouvernement Trudeau s’apprête à renverser une mesure controversée qui force les femmes immigrantes parrainées par leur conjoint à rester en couple au moins deux ans, à défaut de quoi elles risquent l’expulsion vers leur pays d’origine.

 Ces règles ont été édictées par le gouvernement Harper en 2012. En cas de rupture dans les deux années suivant le début de leur relation conjugale, ces femmes doivent reprendre à zéro le processus d’accession à la résidence permanente, qui ouvre la porte à une vie normale au Canada. Elles risquent d’être expulsées vers leur pays d’origine, même si elles ont des enfants nés au Canada.

 Selon ce que Le Devoir a appris, le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté compte déposer, d’ici la fin de l’année 2016, un projet de règlement qui modifiera ces règles encadrant la « résidence permanente conditionnelle ».

 Le Conseil du statut de la femme, le Conseil canadien des réfugiés et des chercheurs spécialisés en immigration attendent avec impatience ces changements à la loi. Ils dénoncent depuis longtemps les « effets pervers » de ce règlement, qui vise d’abord à empêcher les mariages de convenance destinés uniquement à obtenir la citoyenneté canadienne.

 Cette mesure touche tous les immigrants parrainés par un conjoint — environ 36 000 personnes au Québec, entre 2008 et 2012 — mais les femmes sont plus vulnérables que les hommes, selon les organismes d’aide aux nouveaux arrivants.

 « Le gouvernement Harper a instauré une résidence permanente conditionnelle. Beaucoup d’hommes en profitent. Ils vont chercher des femmes à l’étranger en se disant que les femmes ne connaissent pas leurs droits ni les lois, elles ne parlent ni français ni anglais, elles sont donc plus faciles à contrôler. Et ils savent que, si ça ne fait pas leur affaire, en deux ans monsieur peut quitter madame, et celle-ci perd sa résidence et sera retournée dans son pays d’origine », dit Nicole Richer, coordonnatrice depuis près de 30 ans de la maison d’hébergement Secours aux femmes de Montréal.

 « Vous imaginez des couples où il y a des tensions, des violences ? Ça veut dire que, si jamais la femme quitte le domicile, elle perd ses papiers », ajoute Yasmina Chouakri, de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.

 « L’égalité hommes-femmes non négociable, tout le monde est d’accord là-dessus au Québec et au Canada. Cependant, ça reste un discours si, dans la réalité, on s’aperçoit que les statuts d’immigration et les programmes ne favorisent pas cette égalité. Il y a un problème », ajoute-t-elle.

 Des femmes vulnérables

 Le gouvernement Trudeau proposera des modifications à ces dispositions pour répondre à des préoccupations comme la vulnérabilité des époux parrainés, indique-t-on à Ottawa. C’est un engagement électoral des libéraux. Le projet de règlement sera publié dans la Gazette du Canada d’ici la fin de l’année 2016, confirme Nancy Caron, porte-parole d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

 Le parrainage « place les femmes dans des situations de vulnérabilité en raison de leurs dépendances juridique, économique et sociale envers leur conjoint », conclut une étude menée en 2014 à l’Université Laval. La chercheure Lorena Suelves Ezquerro est parvenue à ce constat après avoir suivi dix immigrantes parrainées par leur conjoint.

 Ces femmes scolarisées gagnaient généralement bien leur vie dans leur pays d’origine. Elles étaient autonomes. La moitié d’entre elles ont immigré au Québec pour suivre ou rejoindre leur conjoint, qui avait un meilleur emploi. L’autre moitié de ces femmes ont rencontré leur conjoint au Québec. Ce conjoint peut être citoyen canadien (né au Canada ou dans un pays étranger) ou résident permanent.

 Le problème, c’est que les immigrantes parrainées deviennent entièrement dépendantes de leur conjoint. En vertu des règles fixées par Ottawa, le mari s’engage à subvenir à tous les besoins de sa femme durant trois ans. Elle n’a droit à aucun programme social. Elle a un accès limité aux cours de francisation.

 Le « parrain » doit non seulement subvenir aux besoins de sa femme durant trois ans, mais le couple doit se maintenir pendant au moins deux ans pour prouver à l’État qu’il s’agit d’une réelle union conjugale et non d’une arnaque pour immigrer au Canada.

 Plusieurs de ces femmes ne parlent ni français ni anglais en arrivant au pays. Elles ne comprennent pas le fonctionnement de leur société d’accueil. Elles n’ont aucun réseau d’amis. Ces femmes sont isolées.

 L’immigration entraîne un stress énorme qui peut donner lieu à des problèmes de santé. Six des dix femmes mentionnées dans l’étude de l’Université Laval ont subi des problèmes comme un infarctus, la maladie de Crohn ou une inflammation de la vésicule biliaire.

 Problèmes de couple

 Toutes ces difficultés mènent souvent à des difficultés conjugales. La moitié des femmes citées dans l’étude de l’Université Laval ont divorcé dans les années suivant leur arrivée au Québec. Certaines ont rapporté avoir subi de la violence, du chantage.

 Le règlement actuel prévoit une exception à la règle de résidence permanente conditionnelle pour les femmes victimes de violence. Elles peuvent se séparer de leur « parrain » sans risquer l’expulsion du pays. Dans les faits, cette exception n’est d’aucun secours. Les conséquences potentielles d’une séparation — le renvoi dans le pays d’origine — sont trop importantes pour que les immigrantes prennent le risque de quitter leur conjoint, selon les groupes de défense des femmes.

 « La résidence permanente conditionnelle, c’était un très mauvais cadeau de Stephen Harper. Cela a rendu les femmes extrêmement vulnérables. Certaines femmes sont en panique car elles ne veulent pas rester [avec leur conjoint]. Elles sont dans des situations impossibles et le conjoint profite largement de cette réalité qu’amène le règlement. Les hommes se sentent protégés par le gouvernement fédéral et ils jouent avec ça », dit Flora Fernandez, coordonnatrice de la maison Assistance aux femmes.

Article paru dans le Devoir

crédits photo: Jacques Nadeau