Femme et autochtone, une combinaison dangereuse

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Le simple fait de naître femme et autochtone prédestine à être victime de violence, révèlent les résultats troublants d’une enquête diffusée mardi par Statistique Canada qui démontre à quel point les agressions en tout genre demeurent des éléments intrinsèques du quotidien des Premières Nations, Métis et Inuits du pays.

 Agressions sexuelles, vols, voies de fait et bien d’autres : les femmes autochtones étaient en 2014 deux fois plus susceptibles d’être victimes de violence que les hommes de leur communauté, près de trois fois plus que les femmes non autochtones et plus de trois fois plus que les hommes non autochtones, selon le rapport de l’agence fédérale de la statistique.

 Pour les femmes, « l’identité autochtone demeure un facteur de risque de victimisation avec violence », tranchent les auteurs de l’étude, après avoir exclu d’autres facteurs comme l’âge et les antécédents, à la lumière de ces statistiques sur la criminalité vécue par les autochtones, qu’ils résident en milieu urbain, en réserve ou ailleurs.

 Pas moins de 28 % des Premières Nations, Inuits et Métis canadiens se sont dits victimes de crimes en 2014, contre 18 % chez les non autochtones.

 Sans égard au type de crime violent, les autochtones ont presque toujours inscrit des taux de victimisation plus élevés que les allochtones.

L’Enquête sociale générale sur la victimisation se penchait sur huit types de crime, soit l’agression sexuelle, le vol qualifié, les voies de fait, le vol de biens personnels, l’introduction par effraction, le vol de véhicules à moteur, le vol de biens du ménage, et le vandalisme. L’enquête a permis d’interroger 36 000 répondants à l’échelle du pays.

 Comment expliquer ces données stupéfiantes ? Samuel Perreault, analyste chez Statistique Canada, tente une explication en se basant sur les données compilées par son équipe au fil des années. « Il y a plusieurs facteurs de risque. On sait qu’ils sont 2,5 fois plus susceptibles d’avoir été itinérants, 2 fois plus d’avoir déclaré une mauvaise santé mentale et d’avoir perçu de la criminalité dans leur quartier, et 1,5 fois plus d’avoir subi de la violence dans leur enfance, énumère-t-il. Ajouté au fait que c’est une population plus jeune, et à la consommation accrue d’alcool et de drogue, ça donne toutes sortes de facteurs qui pourraient expliquer ces données sur la violence. »Il espère que les données divulguées mardi pousseront davantage de chercheurs universitaires à se pencher sur la question.

Héritage colonial

 Première femme autochtone canadienne à obtenir un doctorat en criminologie, Lisa Monchalin ne s’étonne guère des résultats de l’enquête, mais juge « troublant » que la violence dont sont victimes les autochtones n’ait peu ou pas diminué depuis la publication de la précédente enquête de Statistique Canada, en 2009, alors qu’elle poursuit sa diminution dans la population générale.

 Cette violence, plus particulièrement envers les femmes, constitue un vestige du colonialisme, et non des traditions autochtones, estime la professeure à l’Université polytechnique Kwantlen, en Colombie-Britannique, citant en exemple le traitement réservé aux enfants arrachés à leur famille et placés dans des pensionnats autochtones. « Dans certaines de ces écoles, ce sont 100 % des pensionnaires qui ont été victimes de violence sexuelle. 100 % ! Ça laisse des marques. Il ne s’agit là que d’un exemple. »

Méfiance envers la police

 Mme Monchalin estime qu’un autre facteur pouvant expliquer cette violence concerne la méfiance de nombre d’autochtones envers les autorités policières. Selon le rapport, les autochtones ayant subi de la violence non conjugale étaient en effet bien plus susceptibles que leurs homologues de ne pas signaler le crime à la police, 77 % des incidents de violence non conjugale commis contre des autochtones n’ayant pas été signalés à la police, ce qui dépassait le taux correspondant pour les non autochtones (66 %).

 Elle demande au gouvernement fédéral d’appliquer scrupuleusement les recommandations contenues dans le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, et de respecter son engagement d’investir massivement dans les communautés autochtones du pays, contenu dans le plus récent budget. « J’espère que cela permettra de renverser la tendance, bien qu’il s’agisse de solutions à court terme plutôt qu’à long terme », ajoute l’auteure du livre The Colonial Problem : An Indigenous Perspective on Crime and Injustice in Canada, paru en mars.

Pour consulter le rapport, cliquer ici 

Article paru dans Le Devoir 

Crédits photo: Nathan Denette