Éthique – Des épouses qui volent au secours de leur mari

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L’épouse de Gerry Sklavounos n’a pas dit un mot lors de la conférence de presse du député jeudi, mais tous les regards étaient tournés vers elle. A-t-elle été instrumentalisée ? Renforce-t-elle la crédibilité de son mari ? Chose certaine, elle a pris part à une mise en scène vue très souvent dans la réalité comme dans la fiction.

 Les histoires diffèrent, mais les mises en scène se ressemblent. Un politicien repentant au micro et son épouse à ses côtés. La série à succès « The Good Wife » commençait précisément avec une telle scène : le personnage central, Alicia Florrick, était forcé d’apparaître dans une conférence de presse aux côtés de son mari, qui avait été impliqué dans un scandale sexuel. Très tôt dans la série, on nous faisait comprendre que cette image dissimulait une fausse unité.

 Plusieurs analystes contactés par Le Devoir ont aussi songé jeudi à Anne Sinclair et son soutien à Dominique Strauss-Kahn, ou encore à Hillary Clinton.

 

« On a voulu montrer que M. Sklavounos était une victime. S’il choisit d’aller jouer le rôle de la victime, il doit démontrer qu’il a des appuis, d’où la présence de sa femme », note le spécialiste en gestion de crise Richard Thibault, qui n’a pas été très impressionné par la déclaration. Son épouse a-t-elle été instrumentalisée ? « Je ne veux pas lui prêter une intention, mais c’est l’impression que j’ai eue. »

Quel message ? 

L’important n’est pas tant de savoir si Janneke Sklavounos a été utilisée, notent plusieurs, mais de songer au message que cette mise en scène envoie.

 Pour la professeure Guylaine Martel de l’Université Laval, l’affaire Sklavounos met en avant deux grands stéréotypes féminins. « Elle nous présente les femmes sous des images avilissantes : victimes, menteuses, sans le sens de l’humour, incapables de reconnaître une blague ou d’accepter un compliment, une marque d’amitié… qu’on compare à la femme sublime, celle qui soutient son mari. Des garces quand elles se défendent de certains comportements machistes, des saintes lorsqu’elles les soutiennent. »

Comme bien des observateurs, Mme Martel a songé à Anne Sinclair, l’épouse de Dominique Strauss-Kahn, qui avait soutenu son mari après qu’il eut été accusé d’agression sexuelle en 2011. À l’époque, Mme Sinclair, une journaliste de renom, a été vivement critiquée, plusieurs lui reprochant ainsi de nuire à la cause des femmes et de ne pas être solidaire envers la présumée victime.

À l’époque, la sexologue Jocelyne Robert avait publié une lettre publique à Anne Sinclair dans laquelle elle cherchait à se mettre à sa place. « Quel modèle choisirez-vous de représenter ? Celui d’une femme-paillasson, malgré ses millions, sa rare valeur et son intelligence ? […] Je me sens solidaire de vous. Autant que de la jeune femme présumément agressée et molestée par votre mari. Comme si, au fond, le traitement qu’il vous réservait à toutes deux était le même, à un plumeau près. »

Jeudi, Jocelyne Robert a été déçue par le discours de M. Sklavounos, « qui a réussi à passer le message que ce sont les femmes qui ont un problème » et que lui « était au-dessus de tout. » Sa femme, elle, avait « quelque chose d’attendrissant », a-t-elle observé. « Le message subliminal, c’était : “Cette femme merveilleuse me croit. Comment est-ce que je pourrais être un salaud ?” »

Quant à savoir si la population pourra le croire, c’est une autre histoire, ajoute Mme Robert. « Je pense que les gens ne sont pas dupes. Ils vont lui être sympathiques à elle, mais pas nécessairement à lui. »

 Le silence, une stratégie ?

Le professeur Thierry Giasson a quant à lui été étonné par le silence de l’épouse du député Sklavounos. Selon lui, cela renforçait l’impression qu’on s’était servi d’elle. « Quand je l’ai vue, j’ai pensé qu’elle allait s’exprimer. On est dans le registre de l’épouse bienveillante, accommodante… Il y a une instrumentalisation patente de cette femme-là », dit-il.

« C’est très convenu, comme stratégie de communication. […] Ça fait aussi écho à Hillary Clinton, mais c’était en 1994-1995 ! On est 20 ans plus tard, ce n’est plus la même chose. Aujourd’hui, la femme d’un politicien devrait pouvoir parler. »

 Au-delà du message que cela envoie sur les femmes, on peut aussi s’interroger sur l’impact sur la politique elle-même. Dans le quotidien suisse Le Temps, en octobre, la chroniqueuse Marie-Claude Martin avait publié un article intitulé « Hillary Clinton, Melania Trump, Anne Sinclair : ces épouses qui volent au secours de leur mari ».

Mme Martin s’intéressait au cas de Melania Trump, qui s’était portée à la défense de son époux après qu’on eut diffusé ses propos dégradants sur les femmes. Pour défendre son mari, Mme Trump avait dit qu’il s’agissait de « discussions de garçons », s’en était prise aux médias et avait affirmé que son mari était un « gentleman ».

 Pour la chroniqueuse, « dans ce scénario rodé de l’homme en pleine ascension qui chute à la suite d’une faute sexuelle, l’épouse devient ainsi une pièce maîtresse. […] C’est elle qui décide du destin de son mari ; la garante de sa bonne foi ; elle, la gardienne de sa réputation. » Or cela « a un prix, fort bien exprimé par Melania Trump quand elle excuse les obscénités de son mari en le traitant de “teenage boy” : l’infantilisation du pouvoir. »

Paru dans le Devoir 

crédits photo : John Moore, Joe Raedle, Spencer Platt, Mandel Ngan