Deux organismes pour femmes itinérantes crient à l’injustice

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Les deux institutions incontournables dans l’aide aux femmes en difficulté de Montréal reprochent à l’État québécois de leur allouer des sommes nettement inférieures à celles octroyées aux refuges pour hommes itinérants.

« Chaque grand refuge reçoit l’équivalent d’à peu près 50 dollars par jour, par personne. Nous recevons 7 dollars », dit sans ambages la directrice des services aux femmes à la Mission Old Brewery, Florence Portes.

« On n’est pas financé par le gouvernement à la hauteur de nos besoins. C’est inéquitable par rapport aux maisons pour hommes », poursuit la directrice générale du Chaînon, Marcèle Lamarche.

Les deux organismes qui accueillent chaque nuit sous leur toit des dizaines de femmes en difficulté, dont des femmes en situation d’itinérance, carburent aux collectes de fonds. En effet, plus ou moins 90 % de leurs revenus proviennent de donateurs.

Le Chaînon mise gros sur les recettes de son magasin, où des bénévoles vendent à prix abordable des vêtements, des meubles et des articles de toutes sortes offerts par la communauté. « On est visible pour tout le monde, sauf pour le gouvernement », lâche Mme Lamarche durant un entretien téléphonique avec Le Devoir.

En juin dernier, la ministre Lucie Charlebois avait redonné espoir à Florence Portes et Marcèle Lamarche en allouant 10 millions supplémentaires au Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) pour l’année 2017-2018. Les organismes communautaires ayant pignon sur rue à Montréal bénéficieraient de 1 978 500 $ de plus, avait précisé l’élue.

En novembre, le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal leur a enlevé tout espoir. « Zéro ! » Le Chaînon, qui accueille 66 femmes en difficulté, dont 15 femmes itinérantes, n’a pas obtenu un sou de plus du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

« C’est incompréhensible. À ce jour, personne n’a pu m’expliquer comment il se fait que Le Chaînon est passé en dessous de la table alors qu’il est si important », affirme Mme Lamarche à l’autre bout du fil.

Pas de « peanuts » pour tout le monde

Mme Charlebois a annoncé mardi 11 millions supplémentaires sur quatre ans afin de renforcer le soutien offert aux personnes en situation d’itinérance ou à risque de le devenir.

« Pour les gens qui ont connu la rue, ça prend du logement, mais aussi du soutien », a fait valoir le directeur du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), Pierre Gaudreau.

Comparativement aux autres provinces, le Québec et la Ville de Montréal « mettent des “peanuts” » dans les ressources pour itinérants, fait remarquer le directeur général du Mouvement pour mettre fin à l’itinérance à Montréal, James McGregor.

Ni Marcèle Lamarche ni Florence Portes n’était invitée à la conférence de presse.

Pourtant, en plus d’une chambre-dortoir de douze lits et de trois salons où les femmes peuvent trouver refuge sans avertissement ou presque, Le Chaînon dispose d’une unité court terme (jusqu’à six semaines, vingt et une femmes), d’une unité de transition (trois mois à un an, quinze personnes) ainsi que de la Maison Yvonne-Maisonneuve, constituée de quinze logements. « Pour conserver leur logement et leur autonomie, [les résidentes] gardent le contact avec Le Chaînon grâce à une intervenante. Elles sont guidées. Elles sont accompagnées. On prévient le retour à l’isolement. Il y a un suivi qui est fait, mais qui ne s’appelle pas de la “Stabilité résidentielle avec accompagnement” », souligne Mme Lamarche.

En prévision de la conférence de presse, des hauts fonctionnaires ont toutefois « fait les fonds de tiroir » et allouer une aide non récurrente — « c’est souligné trois fois », fait remarquer Mme Lamarche —, de 30 000 dollars de plus à chacun des deux organismes. « Pour réparer une iniquité qui est entre 500 000 et 1 million par année, ça n’a pas de sens. C’est indécent », dénonce Mme Portes.

« L’itinérance est un phénomène que nous prenons très au sérieux. La réalité des femmes au sein de l’itinérance est particulière, puisqu’elles ne s’affichent pas comme les hommes », a fait valoir l’attachée de presse de Mme Charlebois, Alexandra Régis, tout en rappelant que le plan d’action interministériel 2015-2020 a d’ailleurs prévu une hausse du financement des refuges pour femmes à Montréal de 300 000 $ « récurrents ».

« Le fait que l’itinérance féminine soit invisible justifie-t-il le fait qu’il n’y ait pas de financement ? Est-ce qu’il faut se faire pousser la barbe puis tirer des chariots pour qu’on prenne conscience que c’est une réalité ? On est quand même la deuxième partie de l’humanité. Il n’y a pas d’équité. Pourquoi ? » s’interroge Mme Portes à la veille de la Journée internationale des femmes.

Le Chaînon et le Pavillon Patricia Mackenzie se sont toujours refusés à « menacer de fermer [leurs] portes », les week-ends par exemple, afin de forcer l’État à les soutenir à la hauteur de leurs défis.

La stratégie ne s’est pas avérée payante pour les deux organismes sans but lucratif, constatent avec regret Florence Portes et Marcèle Lamarche. « Le jour où on baisse les bras, c’est fini. Ce n’est pas avec 8 % de financement du gouvernement qu’on va continuer d’exister. »

Sources : Le Devoir

photo :  Jacques Nadeau