Drame familial à Montréal: une scène insoutenable

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« Je t’aime Élise. » Colin, 5 ans, a déposé une feuille couverte de ces quelques mots devant la maison de sa camarade morte la veille. De sa petite main, il avait dessiné des cœurs.

Élise, 5 ans, a été retrouvée morte mardi soir avec son frère Hugo, 7 ans, et leur père Jonathan Pomares dans leur maison. La thèse du double homicide suivi d’un suicide a été privilégiée par les enquêteurs.

C’est la mère des deux petits qui a fait la découverte, mardi soir, dans la résidence familiale du quartier Tétreaultville, à Montréal. Les enfants avaient été mutilés.

Plusieurs sources ont décrit une scène de crime insoutenable. Des premiers répondants ont dû obtenir un soutien psychologique et ont été placés en arrêt de travail, bouleversés.

Recueillement

Hier, des dizaines et des dizaines de personnes sont allées se recueillir devant la maison, dont l’escalier a été transformé en mémorial improvisé. Peluches, lampions, lettres et dessins recouvraient les marches.

Catherine Fortin avait du mal à contenir ses larmes en regardant son fils Colin déposer sa feuille de papier et son lampion. « Il pose beaucoup de questions, a-t-elle dit. C’est lui qui a verbalisé ce qui était arrivé en disant : “Son petit cœur s’est arrêté.” » La fillette était dans l’autre classe de maternelle de l’école du quartier. Les enfants ont été informés de la mort de leurs camarades à l’école.

« Colin disait que c’était la seule petite fille qui lui faisait des câlins », a ajouté la mère, la voix brisée par l’émotion.

À l’école Sainte-Louise-de-Maurillac, située à quelques pâtés de maisons de la résidence des Pomares, les adultes avaient la mine basse. Une employée a révélé qu’une « très, très grande tristesse » s’était abattue chez les employées.

La Commission scolaire de Montréal n’a pas répondu aux questions de La Presse, mais a diffusé un communiqué dans lequel elle assure que des mesures ont été mises en place pour soutenir élèves et membres du personnel.

Peu de gens rencontrés dans le quartier connaissaient la famille, qui a emménagé dans ce coin résidentiel de la ville en décembre dernier. « Je voyais les enfants jouer sur le terrain, a dit à La Presse une voisine, Alexandra Rousseau. Je ne savais pas qu’il était en détresse à ce point-là. »

Des voisins ont témoigné avoir remarqué trois voitures de police sur place récemment.

Intervention policière

Il y a quelques semaines, les policiers étaient intervenus pour ce qui a été enregistré comme une tentative de suicide. Selon nos informations, Jonathan Pomares avait consommé de l’alcool et des médicaments ou des stupéfiants. Il était en état d’intoxication très avancé à l’arrivée des patrouilleurs.

Le père de famille était agressif et se serait débattu lorsque les agents ont voulu l’aider. Il a clairement dit à ce moment-là qu’il vivait mal la rupture avec sa conjointe, mais il n’aurait pas tenu de propos homicidaires, selon les informations recueillies.

Jonathan Pomares a finalement été transporté à l’hôpital pour une évaluation de son état mental qui devait durer 72 heures. La Presse n’a pas été en mesure de confirmer, hier, s’il a complété les 72 heures avant d’être renvoyé à la maison.

Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Est-de-l’Île-de-Montréal s’est refusé à tout commentaire.

« Puisque ce drame est survenu dans l’est de Montréal, plusieurs membres de notre communauté ont pu côtoyer la famille touchée ou les proches de ces derniers, que ce soit comme professionnels de la santé ou à titre de citoyens. Nous partageons donc collectivement le deuil qui afflige cette famille », précise l’organisme dans un communiqué.

Sans s’avancer sur ce cas en particulier, le professeur de criminologie à la retraite Gilles Tremblay, qui a présidé en 2012 un comité d’experts sur les homicides intrafamiliaux, admet qu’il y a parfois des difficultés pour détecter les situations à risque, mais que les intervenants sont mieux formés qu’avant. « Les messages sont parfois ambigus et dans une période où on a parfois une surcharge de travail et où il faut que ça roule, ça se peut qu’il y ait des choses qui échappent, parfois », reconnaît-il.

Les facteurs de risque sont bien connus, précise-t-il : être un homme, vivre une situation de séparation – réelle ou anticipée –, une perte d’emploi, consommer de la drogue ou de l’alcool. « À partir de ça, il faut prendre des mesures et vérifier le risque de suicide et le risque d’homicide », note-t-il.

Chercheur responsable du Pôle d’expertise et de recherche en santé et bien-être des hommes, M. Tremblay estime que la demande d’aide demeure « extrêmement difficile » pour un certain nombre d’hommes au Québec. « Il n’y a rien qui justifie [un tel drame] », souligne-t-il.

« On peut comprendre que les gens vivent une grande colère, une grande détresse, mais il y a des services pour les aider. Il faut rendre de plus en plus acceptable la demande d’aide pour les hommes. » Gilles Tremblay, professeur de criminologie à la retraite.

En ce qui concerne la mutilation des petites victimes, elle n’est pas inusitée. « Parfois, il peut y avoir une rage épouvantable, une rage absolue, qui fait que les gens ne sont plus eux-mêmes. Il y a aussi des gens qui ont des troubles de personnalité », explique-t-il.

Dans un contexte de violence conjugale et familiale, il ne faut pas oublier le contrôle absolu que cherche à exercer la personne, juge Manon Monastesse, directrice de la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. « Dans ce type de contexte-là, la seule motivation est de se venger de la mère, précise-t-elle. Je vais te faire souffrir en tuant les enfants, tu ne les auras plus avec toi. »

Après un drame comme celui de Tétreaultville, il y a toujours une recrudescence d’appels, souvent de proches, pour signaler de l’inquiétude pour une victime potentielle, ajoute-t-elle.

Un homme « enjoué »

Les personnes jointes par La Presse qui ont connu Jonathan Pomares restaient stupéfaites, hier, devant la tournure des événements.

« On essaie de comprendre ce qu’il s’est passé ce matin, comment quelqu’un d’aussi enjoué a pu changer comme ça », a réagi le directeur général de ProjetSol, Louis-Simon Larrivée.

Jonathan Pomares a travaillé un an et demi pour l’organisme à but non lucratif qui offre un premier milieu de travail aux gens issus des programmes d’insertion socioprofessionnelle. Il n’y était pas lui-même dans le cadre d’un programme de réinsertion, mais plutôt comme employé régulier. Selon M. Larrivée, il a rapidement monté les échelons de l’entreprise, pour devenir « un de [ses] meilleurs employés », avant de partir de manière plutôt brusque à l’été 2017.

Jonathan Pomares a touché à toutes sortes de métiers au cours de sa vie, mais la plupart du temps, c’était en lien avec la cuisine.

Il suivait depuis près de 10 ans des cours d’ébénisterie, en compagnie d’un de ses meilleurs amis. Leur professeur, Guy Pépin, les recevait chaque jeudi de 18 h 30 à 21 h 30 au Centre communautaire culturel et éducatif de Maisonneuve.

M. Pépin a décrit l’homme comme un « boute-en-train » qui taquinait les gens autour de lui et qui avait toujours des photos de ses enfants sur son téléphone. « Je ne l’ai pas vu venir, a-t-il dit. Je suis resté sans mots en apprenant ça. »

Source : La Presse

© Patrick Sanfaçon, La Presse