Le projet de loi présenté par le ministre Sam Hamad en novembre veut forcer les nouveaux prestataires d’aide sociale n’ayant aucune contrainte particulière à suivre des programmes de retour à l’emploi, sous peine de pénalité financière.
Cette réforme est basée sur des « préjugés », selon un groupe d’experts de l’UQAR, puisqu’elle vise ouvertement les jeunes dont les parents sont sur l’aide sociale. Or, comme l’explique le professeur et directeur du module en travail social, Jean-Yves Desgagnés, il n’existe aucune preuve que des gens sont sur l’aide sociale de génération en génération.
« On laisse sous-entendre à la population qu’on est en face de jeunes qui font de l’aide sociale leur projet de vie », dit-il. « Le ministre cite ce groupe-là parce qu’il sait que, dans la population, les gens pensent qu’il y a de l’aide sociale de génération en génération, ce qui est totalement faux. »
« Moi j’ai travaillé dans le domaine de la santé mentale. Je ne pense pas que les gens qui ont fait des demandes d’aide sociale puis qui avaient des problèmes de santé mentale voulaient être sur l’aide sociale », indique en exemple Marc Boily, codirecteur du module en travail social à l’UQAR. « C’est parce qu’ils avaient certaines limitations ou ils avaient des conditions qui faisaient qu’ils avaient besoin de ce soutien-là. Les programmes d’emploi ne sont pas nécessairement adapté pour ces personnes-là. »
Jean-Yves Desgagnés craint les conséquences de la réforme chez les nouveaux demandeurs qui ne se soumettent pas aux prescriptions du projet de loi.
« Il pourrait y avoir des sanctions et des coupures d’à peu près la moitié du chèque, donc les gens se retrouveraient encore plus pauvres », soutient-il. « Alors déjà, avec 650 $ par mois, c’est pas beaucoup pour vivre, c’est même insuffisant, mais là ça veut dire carrément qu’on pousserait les gens à la rue. »
« On parle de plus en plus que le phénomène de l’itinérance est en augmentation au Québec, et bien cette réforme-là risque de devenir une fabrique à itinérants. » — Jean-Yves Desgagnés, directeur du module en travail social, UQAR-Campus Lévis
L’expert note que le type de programme privilégié par le ministre Hamad, un programme workfare, n’a pas fonctionné lorsqu’il a été appliqué dans d’autres pays. « Le workfare, c’est rendre l’aide sociale conditionnelle à des démarches d’emploi », précise-t-il. « Ce n’est pas vrai que c’est avec un coup de pied qu’on aide les gens à réintégrer le marché du travail. »
Le groupe d’universitaires veut le retrait du projet de loi 70
Jean-Yves Desgagnés souligne que le taux d’assistance sociale a diminué de 50 % depuis 20 ans pour atteindre 6,6 %, un niveau jamais vu depuis 1978, dit-il. Selon lui, la véritable intention poursuivie par le programme « Objectif emploi » est de faire une économie de 50 millions de dollars par année dans l’aide financière accordée aux personnes et aux familles, la principale source de dépenses du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale.
Le groupe de professeurs signe une lettre dans Le Devoir vendredi, dans laquelle il demande au ministre Hamad de retirer son projet de loi.
« Comment justifier dans la population des économies dans les revenus des plus pauvres ? », peut-on lire dans celle-ci. « En jouant la carte des préjugés, [le ministre Hamad] s’assure ainsi de l’appui de la majorité de la population ayant déjà une opinion négative envers la population à l’aide sociale. »
Le directeur du module en travail social de l’UQAR dit avoir écrit cette lettre par peur que le projet de loi 70 ne soit adopté sans qu’il n’y ait de débat public.
Article paru dans Ici Radio-Canada
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