Reconsidérez votre loi, M. Blais

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Une loi qui vise, par son programme Objectif emploi, à engager les prestataires de l’aide sociale à aller vers le travail.

Nul ne peut être contre la vertu, évidemment. Travaillant dans le domaine de la santé, nous sommes d’accord avec l’idée du ministre Blais d’aider les personnes plus démunies à se sentir valorisées en participant activement à notre société et à notre économie. 

Mais sur le terrain, la situation est nettement plus complexe que le laisse paraître la loi. Des personnes bénéficiant de l’aide sociale qui ne participeraient pas de façon jugée satisfaisante au programme voient leur chèque mensuel de base (628 $, actuellement) réduit à 404 $. Cela place ces personnes, d’emblée, en position de malsaine précarité. Car pour qu’une personne trouve du travail, il ne suffit pas d’avoir de la bonne volonté et de la motivation.

Le gouvernement devrait assurer minimalement de répondre aux besoins de base des personnes concernées. Nous accueillons des individus à l’urgence qui n’ont pas suffisamment d’argent pour manger trois fois par jour, pour avoir un logement adéquat et pour payer la franchise de l’assurance médicaments de la RAMQ. Nous avons alors à les traiter, car cette fragilité sociale les précipite dans la maladie physique ou psychiatrique. 

Malgré les arguments du ministère de l’Emploi, du Travail et de la Solidarité sociale sur la souplesse et l’adéquation du texte, nous sommes plus qu’inquiets car les critères d’ajustement ne sont pas vraiment détaillés dans la loi. Et en raison de leur nature réglementaire, ils pourraient faire l’objet de modifications à tout moment. 

Il est écrit que les bénéficiaires seraient accompagnés tout au long de leurs démarches d’obtention d’un emploi. Mais en pratique, nous référons nos patients à des services sociaux et communautaires déjà en nombre insuffisant, qui sont débordés et à bout de souffle. En ces temps de restrictions budgétaires, il manquera de professionnels pour accompagner efficacement tous les participants du programme Objectif emploi. Nous pensons donc qu’il serait d’abord nécessaire de consolider les effectifs des services communautaires et de première ligne. 

Considérant enfin les difficultés persistantes d’accès à un médecin dans les CSSS, nous pouvons malheureusement anticiper l’accumulation de rendez-vous à teneur médico-administrative, nouveau facteur qui éloignera encore davantage la population québécoise d’une prise en charge de ses besoins cliniques réels.

Le gouvernement prévoit une économie de 50 millions $. Selon nous, les conséquences de la pauvreté aggravée par cette loi (dont l’augmentation de la suicidalité, ce qui serait un véritable recul pour le Québec) coûteront cher à la communauté citoyenne, beaucoup plus cher que les sommes économisées. Contraindre à l’indigence des personnes déjà précarisées ne peut qu’augmenter leur détresse psychologique et son coût en soins d’urgence répétés encore et encore. 

Notre société construite solidaire n’y résisterait pas.

Pour toutes ces raisons, nous avons demandé humblement au ministre Blais de reconsidérer la Loi visant à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi, ne serait-ce qu’en regard des conséquences psychosociales et médicales qu’elle engendrera.

  • Sarah Pham Thi Desmarteau, Dany Lamothe, Lucie Boucher et Isabelle Lemire-Renaud, médecins résidents en psychiatrie
  • Joëlle Hassoun, Mathieu Tittley, Gilles Chagnon et Daniel Boleira-Guimaraes, médecins psychiatres au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke 
  • Isabelle Leblanc, médecin de famille et présidente du regroupement des Médecins québécois pour le régime public
  • 573 autres signataires: infirmiers, travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés, préposés aux bénéficiaires, entre autres

Paru dans Le Soleil

Crédits photo: Archives La Presse