Le prix des inégalités entre les hommes et les femmes

eric-desrosiers

Cela fait longtemps maintenant que les gouvernements ont fait de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes une priorité, a rappelé cette semaine l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans un volumineux rapport sur le sujet. Depuis, environ les deux tiers des membres de ce club dit des pays développés ont, entre autres, pris des mesures pour combler leur écart salarial, une majorité ont agi en faveur d’une représentation plus équitable des deux sexes dans les conseils d’administration et plusieurs se sont donné comme priorité d’améliorer l’accès aux services de garde.

 Mais « en dépit de ces mesures prometteuses, les progrès accomplis jusqu’à présent restent insuffisants, constate l’OCDE. Sur le terrain, la situation n’a pas beaucoup évolué et les inégalités femmes-hommes persistent en matière d’éducation, sur le plan social et dans la sphère économique et politique ».

 La proportion de femmes qui occupent un emploi (63 % en moyenne dans l’OCDE) continue notamment d’être inférieure à celle des hommes (74 % pour un écart de 11,2 points). La Suède (2,7 points d’écart) ou le Canada (5,7 points) font mieux, à ce chapitre, que d’autres, comme l’Allemagne (7,6 points), les États-Unis (10,8 points) ou l’Italie (18,4 points).

 Bien que les femmes soient désormais celles qui étudient le plus longtemps, la rémunération médiane de celles qui travaillent à temps plein demeure inférieure de 14,3 % à la médiane des hommes. Le Canada fait pire, avec un écart de 18,6 %, soit pratiquement le même score que les États-Unis (19 %) et l’Allemagne (17 %). C’est tout de même mieux que le Japon (26 %) ou la Corée (37 %), mais gênant en comparaison de la France (10 %), de la Norvège (7 %) ou de la Nouvelle-Zélande (6 %).

 De plus, poursuit l’OCDE, les emplois occupés par les femmes sont « souvent de moindre qualité », « offrent une protection sociale limitée » et sont « synonymes de précarité ». Elles restent, entre autres, « sous-représentées » dans les postes de direction dans les entreprises privées et l’administration publique.

 Le prix de la maternité

 Cet écart persistant tient principalement à deux facteurs, rappelle cette semaine le magazine britannique The Economist. Le premier est que les secteurs professionnels où se concentrent les femmes (santé, services sociaux, éducation, etc.) offrent généralement des conditions de travail moins bonnes, même à qualifications et responsabilités équivalentes.

 Deuxièmement, lorsque les hommes et les femmes oeuvrent dans les mêmes secteurs, leurs conditions de travail se révèlent similaires jusqu’à ce qu’arrive le moment d’avoir des enfants. Comme les femmes sont généralement celles qui doivent, si ce n’est mettre entre parenthèses, du moins ralentir leur carrière pour s’occuper de leur petite famille, et que cette période coïncide souvent avec les premières occasions de gravir des échelons professionnels, elles se retrouvent cantonnées dans des emplois subalternes.

 Dans ce contexte, l’OCDE recommande de redoubler d’efforts en s’attaquant prioritairement à la violence faite aux femmes, à leur retard salarial et au partage inégal du travail non rémunéré (soins des enfants, des parents vieillissants, tâches domestiques…). On en appelle, entre autres, à des congés parentaux réservés aux pères, à plus de filles dans les filières scientifiques plus lucratives, à plus de flexibilité dans l’organisation du travail et à une analyse des politiques gouvernementales en fonction de leurs possibles impacts sur l’égalité hommes-femmes.

 Le prix économique

 Il y a deux ans, une étude de la firme de consultants McKinsey avait estimé que l’effacement du retard des femmes en matière de taux d’emploi gonflerait l’économie mondiale de 28 000 milliards, soit l’équivalant des économies américaine et chinoise réunies. Si chaque pays se contentait de rattraper celui qui fait le mieux dans sa région, on ajouterait déjà 12 000 milliards.

 L’OCDE se fait moins ambitieuse. Elle estime simplement qu’une réduction de 25 % de l’écart entre les taux d’activité des femmes et des hommes ajouterait 1 point de pourcentage à la croissance économique de ses pays membres.

 Se basant sur les recherches qui ont montré que les femmes font parfois de meilleures gestionnaires que les hommes, le Fonds monétaire international a déjà estimé, quant à lui, qu’il suffirait, dans les équipes de direction des entreprises européennes, de passer d’une moyenne de 2 femmes pour 10 hommes, à 3 femmes pour 10 hommes, pour augmenter de 3 à 8 % le rendement de leurs actifs.

 À la lumière de ces données, la persistance des inégalités entre les moitiés féminine et masculine de l’humanité est de la folie, conclut l’OCDE. Ne serait-ce que parce qu’on est aux prises avec une croissance économique anémique, que les populations vieillissent à vue d’oeil et que jamais n’a-t-on vu débarquer sur le marché du travail autant de jeunes femmes aussi bien formées.

 « Ces inégalités constituent non seulement un échec sur le plan moral, dit son rapport, mais aussi un obstacle majeur à une croissance économique inclusive au détriment de la société tout entière. »

Source : Le Devoir