Lutter contre l’exploitation sexuelle, une chambre d’hôtel à la fois

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Des milliers d’hôteliers américains ont déjà adopté des codes de conduite stricts et permanents afin de reconnaître les cas suspects et d’alerter les autorités. Au Connecticut, la formation du personnel de l’hôtellerie est désormais obligatoire. Quant à l’État de New York, il pourrait bientôt faire de même.

Garder les yeux bien ouverts

Le Connecticut est devenu l’an dernier le premier État à imposer une formation à toute l’industrie hôtelière pour en faire une partenaire de la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs.

« Ça arrive, tout le monde le sait, et si ce n’est pas dans mon hôtel, ce sera dans un autre. Alors il faut garder les yeux bien ouverts et savoir quoi faire, même si les proxénètes sont rusés », raconte Dinu Patel, propriétaire d’un motel au Connecticut.

La formation est donnée par les policiers et les services sociaux de la région. Le personnel hôtelier doit notamment :

  • surveiller les allées et venues;
  • se méfier de ceux qui paient comptant;
  • bien vérifier l’identité des clients qui ont réservé en ligne;
  • conserver les registres des clients pendant au moins six mois;
  • poser des questions;
  • suivre son instinct;
  • au besoin, contacter la ligne téléphonique nationale d’urgence contre la traite des personnes.

« C’est tout un changement de culture pour une industrie où la règle d’or, c’est de ne pas poser de questions, mais c’est nécessaire ».-  Dinu Patel, hôtelier

Le calvaire d’Anneke Lucas

La New-Yorkaise Anneke Lucas n’avait que 6 ans quand elle est tombée sous l’emprise d’un réseau de trafiquants belges.

Son calvaire a duré jusqu’à l’adolescence. Pendant toutes ces années, elle a été exploitée dans des hôtels en Europe, puis aux États-Unis, sans que quiconque intervienne.

« Il n’y avait jamais de questions. Ce n’était jamais un problème. C’était toujours : « Bonjour, jeune fille. » Je souriais. Pourtant, il y avait des signes. » –  Anneke Lucas

Anneke Lucas ne parlait pas anglais et elle était en compagnie d’hommes plus vieux, en complet-cravate. Elle raconte qu’elle était constamment menacée et qu’elle devait se taire. Un « lavage de cerveau », dit-elle, comme c’est souvent le cas.

« Quand j’étais exploitée et utilisée, je pensais que j’étais une prostituée. Mais si quelqu’un m’avait dit que ce n’était pas possible, que j’étais une victime, je l’aurais écouté. J’attendais toujours d’être sauvée. Ce n’est jamais arrivé », explique Anneke Lucas.

Aujourd’hui, elle est le visage et la voix de la mobilisation dans l’État de New York, grâce à sa pétition pour une loi contre la traite des personnes.

Cette pétition est à l’origine d’un projet de loi qui vise à soumettre tous les hôtels, les auberges et les motels à des règles strictes. Cela comprend de la formation et l’affichage de la ligne d’urgence nationale contre la traite des personnes aux États-Unis. Ce projet de loi s’inspire de la législation du Connecticut.

L’Église en renfort

« Le sujet de l’exploitation des mineurs dans les hôtels est tabou, comme si la société ne voulait pas croire à cette odieuse réalité. »-  La révérende Adrian Anhausser

La révérende Adrian Anhausser fait la tournée des hôtels de Manhattan, à New York, depuis des mois. Elle a déjà convaincu des dizaines d’hôtels d’adhérer à un code de conduite, en attendant l’adoption d’une loi officielle.

« La ville de New York est une plaque tournante pour la traite des mineurs. L’âge moyen des garçons et des filles qui sont recrutés est de 12 ans. Parfois, ils sont exploités dans des hôtels après l’école », mentionne la révérende.

Parmi le matériel qu’elle distribue aux réceptions d’hôtel :

  • des listes et des photos de mineurs en fugue ou portés disparus aux États-Unis;
  • de petits savons, qui seront étiquetés du numéro de la ligne d’urgence et placés dans les salles de bain des chambres.

Les voir comme des victimes

Bill Brady est l’un des 320 000 camionneurs américains qui ont reçu la formation de l’organisme Truckers Against Trafficking : « Nous apprenons à les voir comme des victimes plutôt que comme des prostituées. »

L’organisme mis sur pied en 2009 éduque les routiers, leur montre comment reconnaître les personnes mineures exploitées et surtout comment rapporter les situations dont ils sont témoins dans les motels et les haltes routières de l’Amérique

La ligne téléphonique d’urgence contre la traite des personnes est le point de chute pour tous les renseignements qui touchent les cas suspects d’exploitation sexuelle aux États-Unis. L’an dernier, la ligne d’urgence a reçu plus de 7000 appels. C’est une augmentation de 35 % comparativement à 2015.

Paru sur Ici.radio-canada.ca

crédits photo: Radio-Canada/Tamara Alteresco