L’IVAC refuse de la dédommager

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Magalie (nom fictif) était à l’aube de la majorité lorsqu’elle a rencontré son amoureux, en 2010.

«Il sortait de prison. La violence s’est installée graduellement. Il a commencé à m’éloigner de mes proches», soutient-elle. Le couple emménage ensemble à l’été et les choses empirent, selon elle.

«Il me battait à coups de poing, à coups de pied. À un moment donné, il faisait bouillir de l’eau dans un chaudron et il me tenait la tête au-dessus en disant qu’il allait me mettre la tête dedans pour que plus jamais un homme ne me regarde», poursuit-elle, ajoutant qu’elle ne pouvait plus se maquiller ou se vêtir de façon féminine sans déclencher les crises de son copain.

Elle se plie à ses volontés. «J’étais en amour… Mais j’étais dans le gros cycle de la violence conjugale», reconnaît-elle. «Détruite et déprimée», la jeune femme noie sa douleur dans l’alcool et fait une première tentative de suicide à l’été 2011. «C’est lui qui m’avait dit d’aller me tirer», se souvient-elle.

Prostitution

Peinant à conserver des emplois, elle accepte à contrecœur de travailler dans une agence d’escortes, par «amour» pour lui. «J’ai cédé. Ça m’a brisé l’âme. Ça a brisé ce qui restait de vivant en moi. Ça m’a démolie», souffle celle qui remettait le fruit de son travail à son conjoint.

Rapidement, elle souhaite cesser ces activités, mais son conjoint ne l’entend pas ainsi. À bout de la prostitution, des menaces et des coups, elle fait une seconde tentative de suicide au printemps 2012. En juin, Magalie est battue à nouveau. C’est la fois de trop. Elle porte plainte… et boit pour oublier. Son agresseur écopera en 2014 d’une peine globale de 36 mois d’emprisonnement.

Demande rejetée

Magalie a présenté son dossier au programme d’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), demandant compensation de 2011 à 2013. En avril 2013, sa demande est rejetée. Le Tribunal administratif du Québec (TAQ) maintient ce refus en février dernier, arguant que Magalie n’était pas dans une «incapacité totale» de vaquer à ses occupations et qu’elle a vécu d’autres événements malheureux qui auraient contribué à son état de santé.

«Tout ce que l’IVAC a essayé de prouver, c’est que c’était pas si pire, ce que j’avais vécu. Que si j’étais maganée, ce n’était pas à cause de ce que mon ex m’avait fait. Comme si ça n’avait rien changé à ma vie! Mais ça va me suivre toute ma vie», s’insurge-t-elle.

Extraits du jugement du TAQ

« Du mois d’août 2011 à juin 2012, la requérante est active comme escorte. Certes, cela est dans un contexte de violence, mais il demeure qu’elle est active pour procurer des revenus à son couple. »

« La procureure de la requérante plaide qu’elle ne pouvait pas faire ses [activités], car elle travaillait comme escorte 24 heures sur 24. Même si cela était entièrement vrai, il demeure que ce n’est pas pour une raison médicale qu’elle ne peut faire ses [activités]. »

« Rien ne permet de conclure que l’événement criminel est dominant dans le portrait. D’autres événements difficiles sont mentionnés, le décès récent de deux amoureux de la requérante, des problèmes dans l’enfance […]. »

« Ils font tout pour ne pas accepter la réclamation »

Le Journal a soumis le jugement du Tribunal administratif du Québec (TAQ) dans cette affaire à l’avocat Marc Bellemare, spécialiste dans les questions touchant l’IVAC.

Êtes-vous surpris du refus de l’IVAC d’indemniser Magalie ?

«C’est typiquement IVAC. Je vois ça quotidiennement. Ils banalisent, ils font tout pour ne pas accepter la réclamation. Ils disent n’importe quoi aux victi­mes.»

Qu’est-ce qui explique le refus du TAQ d’inverser cette décision ?

«Les gens ne comprennent pas comment ça marche. L’IVAC, c’est des grands termes, des grands mots. Il n’y avait pas une preuve médicale et psychologique très forte. Je ne dis pas que [Magalie] n’est pas malade. Mais il aurait fallu faire plus.»

La décision du TAQ est sans appel, Magalie peut-elle espérer être indemnisée ?

«Elle pourrait rappeler son avocate et demander à avoir une expertise psychiatrique, pour dresser son historique. Le psychiatre pourrait faire des commentaires, voire qu’elle vivait sous l’emprise d’un proxénète, qu’elle n’était pas capable de fonctionner parce qu’elle vivait une peur énorme, par exemple.»

Pourrait-elle modifier sa demande et avoir gain de cause ?

«L’IVAC refuse de l’indemniser pour les séquelles vécues entre 2011 et 2013. Elle pourrait démontrer qu’elle a des séquelles liées à l’acte criminel et réclamer pour d’autres périodes. Peut-être qu’on pourrait essayer de faire quelque chose après 2013.»

Article paru sur le Journal de Québec

crédits photo: Jean-François Desgagnés