Étant moi-même le père de deux jeunes enfants, je me suis évidemment senti interpellé par cette initiative. Je suis convaincu que, de manière générale, un engagement soutenu des pères auprès de leurs enfants a des retombées positives pour les enfants et pour les hommes, mais aussi pour les femmes.
Néanmoins, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la logique et sur certains discours qui sous-tendent cette initiative, qui favorise l’engagement paternel. L’initiative « Amis des pères » s’appuie essentiellement sur l’idée que les hommes sont exclus des services, puisque ces services seraient davantage adaptés à la réalité et aux besoins des femmes. Ce discours, extrêmement populaire, est véhiculé par les chercheurs, les politiciens et les médias, ainsi que par les professionnels de l’éducation, des services sociaux et de la santé. Certains éléments devraient pourtant être remis en perspective…
Des services adaptés à la réalité et aux besoins des mères?
Comme la responsabilité et les soins aux enfants incombent encore largement aux femmes, il est vrai que les services ciblent souvent les mères et que les mères sont davantage en contact avec les professionnels. Par contre, cela ne signifie pas nécessairement que ces services sont adaptés à la réalité et aux besoins des mères. Au contraire, les femmes se retrouvent souvent contraintes d’aménager leurs activités personnelles et professionnelles en fonction des besoins de leurs enfants et des horaires peu flexibles des services de garde, des écoles, des CLSC, des hôpitaux, etc. De plus, certaines réalités biologiques, comme celles liées à la grossesse et à l’accouchement, et certaines attentes construites socialement, incluant celles liées à l’allaitement maternel, imposent des contraintes particulières aux femmes. Cette situation engendre d’ailleurs des coûts importants à plus long terme pour les femmes, notamment sur le plan financier et sur l’avancement de leur carrière.
La persistance d’un double discours
Dans le contexte où la responsabilité et les soins aux enfants incombent encore largement aux femmes, mais où les services ne sont pas adaptés à leur réalité et à leurs besoins, il est légitime de se demander pourquoi ne pas avoir investi dans une initiative « Amis des mères » – ou du moins « Amis des parents » ? La réponse à cette question semble résider dans le fait que, comme société, nous avons maintenant tendance à encourager et à valoriser l’engagement des pères, mais à prendre pour acquis le travail accompli par les femmes dans leur rôle de mère.
Cela se traduit, entre autres, par une attitude plus positive à l’endroit des pères. En effet, de nombreuses tâches, qui sont pourtant invisibles lorsqu’elles sont réalisées par les mères, peuvent permettre aux hommes d’être perçus comme de « bons » pères. Par exemple, je me souviens clairement d’une occasion lors de laquelle j’ai reçu des commentaires très positifs, simplement parce que je m’apprêtais à aller changer la couche de mon fils dans les toilettes d’un restaurant. Quelle femme a déjà reçu des compliments pour avoir changé des couches ?
Dans les services, les mêmes comportements peuvent être interprétés différemment par les professionnels. Ils peuvent, par exemple, reprocher à une mère d’être en retard à un rendez-vous, alors qu’ils vont féliciter un père d’être présent au rendez-vous malgré le retard (« Au moins, il est venu »). Certains comportements jugés inacceptables de la part d’une mère seront plutôt perçus comme maladroits de la part d’un père.
Pères exclus ? S’engager comme pères pour une égalité entre les femmes et les hommes
Dans ce contexte, il ne semble pas approprié de prétendre que les hommes sont en quelque sorte victimes d’une injustice, parce que les services se centrent davantage sur les femmes. Les attentes à l’endroit des mères sont plus élevées, elles assument une plus grande partie du travail lié aux soins aux enfants et aux tâches domestiques, elles sont davantage interpellées par les professionnels, et elles en subissent les conséquences à court et à long terme. Si certains pères, à certains moments, peuvent se sentir exclus par les propos ou les actions des professionnels, il n’en demeure pas moins qu’ils sont généralement dans une situation privilégiée par rapport à celle de leur conjointe. Les hommes peuvent choisir d’être plus ou moins impliqués auprès de leurs enfants sans s’exposer à trop de jugements de la part de leur entourage; les femmes n’ont pas cette même liberté.
En ce sens, je suis convaincu qu’une plus grande participation des hommes dans les soins aux enfants et dans les tâches domestiques peut avoir des retombées positives sur tous les membres de la famille, mais peut aussi constituer un pas important vers l’atteinte d’une égalité entre les femmes et les hommes. Pour cela, les initiatives favorisant l’engagement paternel devraient reposer sur une reconnaissance des inégalités et sur une conviction que ces responsabilités et ce travail devraient incomber également aux mères et aux pères. Les attentes à l’endroit des mères et des pères devraient être les mêmes et leurs comportements devraient donc être jugés de la même manière. Si la situation actuelle est, plus souvent qu’autrement, à l’avantage des hommes, au détriment des femmes, il s’agit donc de remettre en question certains privilèges masculins, ce qui imposera certaines contraintes aux hommes et engendrera pour eux certains coûts sur les plans personnel et professionnel.
Et s’il y a effectivement des changements importants à apporter dans les services, tentons de les rendre plus accessibles et utiles pour tous les parents, pas uniquement pour les pères.