Jeudi dernier, lors du débat des chefs à Radio-Canada, c’est tout juste si le mot « femme » a été prononcé. De façon bien ironique, le seul moment où on a vraiment parlé de condition féminine, c’est à la toute fin, lorsque Manon Massé a attribué au fait d’être une femme son déficit de temps de parole. Patrice Roy l’a reçu comme un reproche et le débat s’est conclu sur un grand malaise. Mais en fait, la remarque de la co-porte-parole de Québec solidaire était plus un constat lucide qu’un reproche. Elle constatait ce que toute femme, prise au beau milieu d’un combat de coqs, sait déjà : on a beau être en 2018, il est toujours plus difficile pour une femme de se faire entendre.
Bonne chance à celle qui aspire à être écoutée sans subir de « mecsplication ». Bonne chance encore à celle qui préfère les débats d’idées aux débats d’ego.
Et bon courage à celle qui aimerait croire que la politique ne consiste pas à planter son adversaire, mais bien à planter des idées qui feront avancer une société.
L’invisibilité des femmes en campagne électorale est aussi notable dans la mémoire sélective des chefs du Parti québécois et de la Coalition avenir Québec qui évoquent sans cesse les « 15 ans de régime libéral », effaçant d’un coup le passage au pouvoir de Pauline Marois, seule femme première ministre de l’histoire du Québec. Une femme, bof ! Un détail… Les partis préfèrent mettre l’accent sur le fait que, pour la première fois de l’histoire, on a atteint la parité dans le nombre de candidatures aux élections. Sans bien sûr préciser qu’il s’agit trop souvent d’une « parité de façade », comme l’observe la journaliste Noémi Mercier dans L’actualité, en notant que les femmes candidates sont plus souvent envoyées dans des circonscriptions casse-gueule alors que l’on réserve davantage de circonscriptions gagnables aux hommes. Ça fait de belles statistiques en campagne électorale. Mais pour la parité, on repassera.
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« On aurait pu croire qu’après l’année que nous venons de vivre collectivement, que les questions liées aux femmes, notamment les questions des violences, auraient occupé davantage les partis et les chefs », a dit hier Mélanie Thivierge, mon ex-collègue devenue PDG du Y des femmes de Montréal. « Après l’année du mouvement #moiaussi, après le scandale de harcèlement sur les campus universitaires, alors que des jeunes filles du secondaire ont été victimes d’agression sexuelle dans des écoles, nous sommes en droit de nous demander : qu’est-ce qu’il faudra pour attirer l’attention des partis politiques sur ces questions ? »
Plutôt que de se contenter de déplorer ce silence, le Y des femmes a eu la bonne idée d’organiser un débat sur ces enjeux occultés. Un débat qui réunissait la ministre libérale Hélène David, la députée péquiste Catherine Fournier, la candidate caquiste Marie-Chantal Chassé et la candidate de Québec solidaire Ève Torres.
C’était hier matin, donc. Un débat très civilisé sur une foule d’enjeux de grande importance : violences faites aux femmes, exploitation sexuelle, justice, éducation aux relations saines et égalitaires, équité en emploi, inclusion des femmes autochtones et immigrantes, etc. Et ce qui se dégageait de ce débat respectueux était à mille lieues de ce à quoi nous ont habitués les débats des chefs télévisés. Ce n’était ni un combat de coqs ni un combat de poules.
On avait devant nous quatre femmes qui, malgré leurs allégeances différentes, tentaient de construire quelque chose plutôt que de détruire la réputation de leur adversaire.
« Je ne pense pas que vous allez voir ça dans un débat entre hommes », a dit la ministre David alors que la députée de l’opposition Catherine Fournier lui a cédé une minute de temps de parole qu’elle aurait pu réclamer.
Autre fait inusité tranchant avec la façon « virile » traditionnelle de débattre, les représentantes des différents partis politiques reconnaissaient les bons coups de leurs adversaires. La ministre David a ainsi tenu à saluer la contribution de ses collègues de l’opposition qui l’ont talonnée sur plusieurs sujets. Elle a particulièrement souligné le travail de Lise Lavallée, de la CAQ. « Ce n’est pas grave de ne pas être du même parti. Je dois vous dire une chose : Lise a un engagement profond pour la question du proxénétisme et de la prostitution. Je dois saluer le fait qu’elle ne m’a jamais lâchée depuis un an sur cette question. »
La péquiste Catherine Fournier qui, à 24 ans, est devenue la plus jeune femme élue députée à l’Assemblée nationale, a tenu à son tour à saluer le travail d’Hélène David pour l’adoption de la loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur. Ce qui n’a pas empêché chacune des candidates de proposer sa vision des choses et de souligner que, malgré les avancées, il reste bien du travail à faire.
Aucune tomate n’a été lancée. Juste des idées. Et Dieu que ça faisait du bien.
Chronique de Rima Elkouri parue dans La Presse +